Fait d'hiver
Fait d'hiver
      Elle a froid. Si froid. Dans sa robe courte et noire, laissant ses cuisses blanches offertes à l'air glacial du soir. Elle est semblable à une rose, effeuillée à chaque fois que la porte se ferme. Ceux qui l'insultent sont les premiers à l'appeler, elle doit haleter et offrir une part d'elle-même pour qui lui lancent à la figure une part de leur porte-monnaie.

Son innocence lui a été depuis longtemps dérobée et mère depuis peu, pour nourrir sa progéniture elle ne peut que se faire acheter. L'esclavage a été aboli depuis longtemps mais elle est celui de la rue depuis un bon moment.

Cœur creux mais poitrine pleine, il faut bien cela pour attirer les avides de chair humaine. Ils sont ses bourreaux, l'attendant chaque soir sur le trottoir, ils lui fourrent des billets dans la main et l'emmènent tout le temps voir quelqu'un de différent.

"Rue sombre, éclairée aux néons"
Cette parole lui rappelle sa position : voilà des heures qu'elle attend et toujours pas un rond.
Solitaire et effacée, elle ferait tout pour arrêter.

La France est un pays d'égalité mais pour ceux qui ont le fric et la position sociale demandés. Les femmes dans sa situation, elles sont des milliers.

Elle a froid, elle a faim, le client se fait rare, alors elle doit rester toujours plus tard. Les ombres jouent sur les murs et ondulent telles des bêtes de bandes dessinées, mais ceux qui la dévorent ne sont pas imaginés.

L'été, elle récolte le raisin, elle fait des petits boulots ou des cours de soutien.
Mais quand le froid s'annonce, à la quête de chaleur, le client est répandu à toute heure. C'est là qu'elle abandonne ses chemisiers pour une robe de charbon et des chaussures cirées.

Ceux qui ne sont pas intéressés la traitent de chienne, mais elle se demande qui est l'animal entre elle, les charognards et les hyènes.

Sans nom, sans avenir, sans études, sans rien, sa seule possession est son corps que l'on désire si bien.

Cette prison de chair dans laquelle elle est enfermée finira par l'éliminer tant la douleur l'empêche de respirer.

Sa silhouette découpée dans la nuit de la saison des monts enneigés, discernable sous la lumière des lampadaires comme une rose sombre et saignée, ses pétales tombent uns à uns, la privant de chaleur et la laissant de nue devant la source de ses pleurs.

Dans la nuit de décembre, on l'insulte, on la traite de pute, on la connaît pas tant que ça mais ça fait rire ceux autour alors on en a rien à foutre.

"Princesse le jour, esclave la nuit, mais les escarpins sont maudits"

Exposée au froid, dans ses chaussures de verre, elle n'est qu'un fait d'hiver.
© Lizzie Pandora,
книга «Fait d'hiver».
Коментарі
Упорядкувати
  • За популярністю
  • Спочатку нові
  • По порядку
Показати всі коментарі (3)
lys
Fait d'hiver
Ton texte est incroyable ! Ta plume est superbe et tu dénonces quelque chose d'important ! Chapeau !!!
Відповісти
2020-12-08 15:57:23
Подобається
ʏaʏa
Fait d'hiver
Wow c'est magnifique ! Les mots sont si biens trouvés, on ressent toutes les émotions de la protagoniste et le jeu de mot du titre est bien trouvé :)
Відповісти
2022-10-22 06:19:41
Подобається