Cléya replaça, d'un geste machinal, sur le côté l'une de ses mèches auburn récalcitrantes tandis qu'elle ferma les yeux un instant afin de se remémorer dans quelle direction se trouvait l'étoile du Nord la veille pour pouvoir s'orienter de la façon la plus juste possible, malgré le côté indéniablement rudimentaire.

- Écho, on y va ! Annonça-t-elle à son partenaire en récupérant son sac à dos, adosser contre un arbre aux grandes racines qui s'étendait sur quelques mètres a semis enseveli.

La créature au corps trapue possédait des poils plus longs sur le sommet de sa tête et sur une partie de son dos. Ses pattes antérieures étaient un peu plus massives que celles postérieures et son arrière-main se trouvais être légèrement plus bas que le reste de son corps. Ses énormes canines blanches témoignaient de la jeunesse du Tarkaïns, qui venais à peine de passer son premier printemps.
L'énorme bête, a la fourrure rousse sombre parsemée de taches brunes semblables à celle des léopards sur toute la partie supérieure de son corps, trépigna quelque peu sur place, visiblement impatient.

La jeune femme caressa Écho juste dernière ses oreilles, plongeant ses doigts dans sa douce fourrure. Elle croisa ses iris dorés et aperçue dans ses pupilles son propre reflet. Ses mèches ondulées lui arrivaient dans le bas du dos et ses iris se révélaient être d'une couleur verte, rappelant celle des jeunes pousses d'herbe. La créature poussa un son semblable à un ronronnement rauque et passa sa langue râpeuse sur la main de sa camarade, se lui arracha un léger rire.

Subitement, tous les muscles du Tarkaïns se tendirent, prêt à détaler, tandis que ses oreilles pivotaient dans plusieurs directions afin de percevoir d'où venait le bruit qu'il venait d'entendre.

Cléya fronça légèrement les sourcils, elle était pourtant persuadée qu'ils avaient plus d'avance que cela. Enfilant son sac à dos en deux temps trois mouvements, elle monta sur le dos d'Écho en plaçant sa main sur son dos, qu'elle atteignait sans sauter, et fit basculer sa jambe droite au-dessus de son ami.

- En avant ! S'écria-t-elle tout en resserrant la pression qu'elle exerçait sur les flancs de la créature afin de rester sur son dos.

L'animal au pelage roux sombre s'élança immédiatement a travers la forêt, guidé par la cordelette passé autour de son coup et possédant un petit attrape rêve à son extrémité, retombant sur son poitrail massif, que tenait la jeune fille entre ses doigts.

- Écho, je ne suis pas contre un peu plus de vitesse ! Le prévient-elle alors qu'elle venait de jeter un coup d'œil par-dessus son épaule.

Celui-ci accéléra la cadence qu'il s'était imposée puis se stoppa net, l'adolescente manqua de peu de passer par-dessus bord, se raccrochant avec le peu quelle avais.

- Hé, préviens quand tu fais ça ! Gronda Cléya mécontente, après s'être cogné contre le puissant félidé.

Contre toute attente, l'intéressé fit la sourde oreille et prit une toute autre direction. La jeune femme sentait tous les muscles de la créature travailler sous ses jambes tandis qu'elle accompagnait ses mouvements avec son corps dans le but de le gêner le moins possible.

- Mais où tu vas ? Le message disait qu'il y avait un camp de réfugiés au nord, pas à l'est ! Le réprimanda-t-elle, une note d'inquiétude perceptible dans sa voix qu'elle ne pris même pas la peine de dissimuler.

Son coéquipier poursuivit cependant son chemin, les oreilles pointées vers l'avant, c'est alors qu'elle comprit qu'elle n'était pas prête de le faire changer d'avis et surtout qu'il avait une idée en tête. Alors qu'il redoubla d'efforts afin d'augmenter son allure considérablement, Cléya sentie le vent lui siffler aux oreilles et lui fouetter le visage sans ménagement.
Les yeux à demi-plisser, pour essayer de voir le paysage malgré le vent qui lui faisait perler quelques gouttes récalcitrantes au bord des yeux, elle aperçue une rivière en contre bas, dissimulée par une végétation abondante.

Un léger sourire se dessina au bord de ses lèvres, fière de son compagnon, sans qui, a de nombreuses reprises elle aurait été perdue.
En effet, la créature avait pensé à aller dans la rivière pour masquer leurs odeurs, et ainsi tenter de semer ses poursuivants.

La bête rousse sombre s'engagea dans la descente, prenant garde à ne pas glisser contre les rochers. Ses pas étaient sur, rapide et léger, démunis de la moindre hésitation. Il fut contraint de passer à travers quelques branches qui dépassaient, ce qui écorcha quelque peu sa coéquipière quand elle ne parvenait pas à les éviter. Arrivé en bas, il entra rapidement dans l'eau en faisant glisser ses puissantes pattes afin de faire le moindre bruit.

Ils entendaient les buissons bouger, craquer et des grognements retentirent dans le silence à présent pesant de la forêt, même les volatils s'étaient tus, ressentant la pression palpable de l'instant, voulant se faire le plus petit possible afin de passer inaperçu et conserver chacune de leurs plumes.

Cléya referma sa prise sur le dos d'Écho en resserrant la pression de ses jambes tout en s'agrippant à la cordelette qu'elle avait mis autour du cou de celui-ci : comme si cela la mettrait plus en sécurité, ce qui évidemment était simplement psychologique. Les battements de son cœur tambourinaient de plus en plus vite dans sa cage thoracique, a tel point qu'il lui semblait que d'un instant à l'autre, il bondirait au travers d'elle et filerait à l'autre bout du globe. À chaque bruissement, elle ratait un battement de cœur et sentait une montée d'adrénaline tandis que ses mains devenaient moites d'angoisse.

- Continuons dans la rivière un moment, sinon il sera trop simple de nous retrouver, chuchota-t-elle.

Écho inclina la tête légèrement, d'un geste presque imperceptible, en potentiel signe d'accord. Marchant dans l'eau tout en longeant le bord, afin de fuir plus vite s'ils étaient repérés, il jetait des coups d'œil nerveux aux alentours pour qu'au moindre mouvement, il détale dans la direction opposée de leurs poursuivants.
Par moments, la bête s'enfonça d'un coup dans l'eau, trempant Cléya par la même occasion, lorsqu'il y avait un dénivelé sous l'eau. Malgré son poids considérable, il parvenait à nager aisément et à garder la gueule hors de l'eau.

Ils étaient crispés, l'un comme l'autre, de savoir qu'à quelques mètres rodaient de dangereuses créatures. À présent, la vie ne tenait vraiment plus qu'a un fil, bien plus qu'auparavant. Au moindre faux pas, c'était la débandade et la flamme du brasier s'éteignait aussi rapidement que si un enfant aurait soufflé sur ses bougies le jour de son anniversaire.

Écho marchait doucement, pour faire le moins de bruit possible dans la rivière, il commençait à fatiguer, car ils remontaient le courant depuis déjà un bon moment. C'était un véritable exercice physique de marcher à contre-courant dans l'eau froide qui commençait à tétaniser ses muscles endoloris, il sentait à peine ses coussinets effleurer le fond tant ils étaient frigorifiés.

- Ça va aller mon grand, le motiva-t-elle en chuchotant en le gratifiant d'une petite gratouille au niveau de son cou.

Ceci suffit à redonner courage au Tarkaïns qui puisa à nouveau dans ses forces pour entretenir l'allure, sa petite queue redressée et remuant par instants. Il ne se permettrait pas de faiblir aussi rapidement, pas quand il avait la jeune fille sous sa responsabilité et qu'elle l'encourageait. Si un jours, il devait fléchir une patte, il le ferait seul, sans l'entraîner avec lui.

Alors qu'ils remontaient la rivière silencieusement, le vent changea brusquement de direction, a leur dépend. Leur odeur fut rapidement portée à la truffe des créatures à leur poursuite. Dans un grondement sourd, l'une des bêtes dévala la pente à toute allure vers eux, glissant à plusieurs reprises.

- Écho, tu sais ce que tu as à faire ! Lança-t-elle rapidement, une note d'inquiétude perceptible dans la voix.

Celui-ci détala comme une flèche, sortit de l'eau en quelques puissants bonds, éclaboussant la rive à grosses gouttes sur son passage, et s'élança à travers la forêt, à l'opposé de son poursuivant, aussi vite que ses pattes le lui permettaient.
Il zigzaguait entre les arbres dans l'espoir de déstabiliser son assaillant, malheureusement en vain, cela ne le dérangeait pas le moins du monde, bien au contraire, il semblait en profiter pour les rattraper.

Cléya était prise au dépourvu, comment lui échapper ? Ses idées défilèrent les unes derrière les autres, mais aucune ne fonctionneraient, elles étaient toutes vouées à un inévitable échec cuisant.

《 Que faire ? 》 Songea-t-elle tout en continuant de chercher une échappatoire. Il y avait forcément une solution, il y en avait toujours une, mais elle n'était pas forcément une évidence dans certains moments.

Écho la tira de ses pensées en faisant volte-face, attrapant Cléya à l'aide de son sac à dos et l'envoya valdinguer quelques mètres plus loin.
Elle heurta le sol violemment, sans même avoir le temps d'amortir sa chute, certaine que quelques marques violacées ne tarderaient pas a parsemer certaines zones de son corps. La jeune fille se redressa maladroitement encore sonnée par le choc, reprenant sa respiration difficilement après qu'elle ait été coupée si brutalement.

- Écho... n..non... fais pas ça, l'implora-t-elle.

Trop tard le Tarkaïns avait pris sa décision : il allait se battre, jamais il ne laisserait la créature toucher à Cléya, et c'était la seule solution envisageable. Lui, avait décidé de prendre la décision que sa coéquipière n'avait pas réussie à prendre, soit par crainte soit par faiblesse, il n'en avait aucune idée, surtout que ce n'était pas son genre habituellement, du mois plus maintenant.

Cléya s'approcha d'Écho pour se battre en sa compagnie, mais celui-ci lui grogna dessus et la repoussa avec son museau, le message était clair comme de l'eau de roche : elle devait se mettre à l'abri et le laisser faire, à son plus grand regret.
Non sans une seconde tentative de l'épauler, qui se trouva être une fois de plus catégoriquement refusée, elle finit par s'approcher d'un arbre et saisit la branche la plus basse pour se hisser dessus à la seule force de ses bras, puis en attrapa une autre, jusqu'à monter le plus haut possible dans le sapin, à l'abri des Tarkaïns. En effet, elle avait remarqué que ces créatures ne pouvaient pas le faire, ou du moins, ne le faisaient pas.
La jeune fille ignora les épines qui s'accrochaient à ses cheveux et lui griffaient la peau par endroit, ainsi que la sensation d'avoir les mains collantes à cause de la sève.

Le Tarkaïns ne tarda pas à arriver, l'ennemi était quant à lui de couleur foncé qui tirait vers le brun, et possédait en plus de quelques taches bien plus grosses que celles d'Écho, quelques zébrures au niveau des pattes. Il sauta directement sur sa cible sans réfléchir, ou du moins si rapidement qu'il semblait ne pas l'avoir fait, et planta ses griffes dans les flancs de celui-ci, arrachant un cri de douleur à Écho, qui se roula à terre pour faire lâcher prise son assaillant. La bête sombre se retrouvant écrasée, il n'eut d'autre que de le lâcher.

Écho se remit immédiatement sur ses pattes pendant que l'autre commençait seulement à comprendre ce qu'il s'était passé. Il n'hésita pas une seule seconde à profiter de la faille qu'il avait creusée pour l'attaquer directement à la gorge, mais l'ennemi avait vu l'attaque venir et propulsa à l'aide de ses pattes arrières Écho, qui se cogna contre un arbre, le faisant vibrer puis craqueler, et tomba lourdement au sol, une dizaine de mètres plus loin.

De l'agressivité et de la satisfaction se reflétaient dans les yeux de l'assaillant, il avait l'air de n'avoir aucune pitié, ou le laissait croire. Ce qui provoqua la chair de poule à Cléya qui sentit chacun de ses poils se hérisser vers le haut, comme s'ils auraient voulu rejoindre le ciel. Jamais elle ne pourrait s'habituer à leurs regards meurtriers.

Le Tarkaïns courra dans la direction de son semblable et lui sauta dessus, ses énormes canines manquèrent de peu la gorge du pauvre félin roux sombre. L'ennemi posa lourdement ses pattes sur Écho, qui se trouvait sous son assaillant, incapable de se libérer, il essaya à l'aide de ses pattes avant de repousser le Tarkaïns qui tentait à plusieurs reprises de planter ses puissantes canines dans sa gorge tel un chien enragé qui n'avait qu'un seul but, celui de tuer.

Cléya compris immédiatement que son ami était bloqué, a la mercis de leurs ennemis. Elle n'hésita pas une seule seconde à sauter de son arbre et à courir dans la direction des deux Tarkaïns. Jamais elle ne laisserait son ami dans une telle situation, elle ne se permettrait pas de le perdre, d'être à nouveau seule. À cette seule pensée elle sentie son cœur se serrer dans sa poitrine, comme si quelqu'un l'avait empoigné d'une puissante main ferme et tentais de le faire exploser comme un paquet de chips.

Elle accéléra de deux foulées avant la créature brune, et sauta sur son dos grâce à une bonne détente et en ayant placé ses mains sur l'arrière-train de la bête en écartant ses jambes, un poignard à la main gauche. Elle s'était assise sans aucune délicatesse, arrachant un grognement de douleur à la bête qui venait de recevoir un violent poids sur la colonne vertébrale, creusant son dos et fit entre choquer ses vertèbres l'espace d'une seconde.

- Saleté, tu vas le lâcher oui ! Cracha-t-elle avec fureur à l'intention de la bête.

Elle se cramponna sur son dos et le rua de coups de couteau, du sang se mettant à dégouliner à flots des nombreuses entailles quelle avait causés, éclaboussant son visage par la même occasion.

- Lâche le ! S'époumona-t-elle.

Surprit par cette attaque, le Tarkaïns se dégagea immédiatement d'Écho, sauta, grogna en courant rapidement dans tous les sens pour désarçonner la jeune fille. Désormais, on ne pouvait y discerner que de la haine dans les yeux de la créature, mêlé à de la souffrance, une haine pure et dure, il voulait la voir périr entre ses crocs, aucun doute la dessus.

Écho profita de la partie de rodéo entre Cléya et l'ennemi, qui servait occasionnellement de diversion, pour se relever et barrer la route au Tarkaïns. Les pattes du rouquin étaient fermement ancrées au sol et il avait pris une posture imposante, agressive. La bête n'eut d'autre choix que de piller d'un coup sec pour ne pas lui rentrer dedans, Cléya fut violemment projetée sur Écho, elle eut à peine le temps de s'agripper a lui grâce à la cordelette. Tandis qu'elle essayait tant bien que mal de s'installer sur son compagnon, celui-ci ouvrit le plus grand possible sa gueule, se dressa sur ses pattes arrières et profita de l'incrédulité de l'assaillant pour refermer ses puissantes canines sur le dessus de son crâne. Écho mis dans cette attaque toute sa force et toute sa volonté pour broyer le crâne du Tarkaïns en un craquement sonore.

Ce dernier tomba raide mort et une mare de sang recouvrit immédiatement le sol de mousse et de brindilles de la forêt, le vert apaisant prenant rapidement une teinte écarlate reflétant la violence qui venait de s'y dérouler.

Cléya expira longuement en basculant en arrière sur le dos d'Écho. Elle resta quelques instants à détailler le ciel le temps que son cœur reprenne un rythme régulier, ils avaient réussi. Alors qu'elle plongeait ses doigts dans la fourrure de son ami, elle sentit un liquide poisseux et chaud se déposer sur sa main. Rapidement, elle se redressa en revenant à la réalité : ils avaient certes remporté cette victoire, mais toute réussite avait un prix. La jeune femme ne tarda pas à descendre pour détailler les multiples blessures dont souffrait son équipier.

Tandis qu'elle le détaillait sous toutes les coutures, le second Tarkaïns qui rôdait dans les parages surgit des fourées en un grognement menaçant et s'approcha d'eux en position d'attaque. Quelque chose arriva cependant, son regard dévia sur la masse étendue qu'était autrefois son camarade, à présent inerte, étendue comme un vulgaire gibier chasser. La bête reposa ses iris sur les deux compères, poussa un étrange cri et fit demi-tour, au plus grand étonnement de Cléya.

Elle finit par détacher son regard de l'endroit où avait disparut la bête pour ouvrir son sac, cet objet avait décidément bien résister. Elle en sortit un pot en verre qui contenait une sorte de pâte, un mélange de feuilles mis en bouillie formant une étrange pommade aux allures verdâtres. Cléya ouvrit le pot, qui dégagea une effluve d'odeur pour la moins particulière, qui fit plisser le museau d'Écho. L'animal se coucha doucement au sol en un grognement de douleur tandis que la jeune fille mit un peu de cette pâte sur sa main et l'appliqua avec soin sur les blessures du rouquin.

《 Ça devrait calmer la douleur et le saignement 》 Songea-elle intérieurement.

- Il faut qu'on trouve un abri pour la nuit, annonça-t-elle à haute voix afin d'en faire part à Écho.

Ils étaient tous les deux exténués par les derniers événements, aussi bien mentalement que physiquement, mais furent contraint de se remettre en marche s'ils ne voulaient pas dormir à la merci du froid mordant la nuit tombée. Cléya marchait au côté d'Écho pour ne pas le fatiguer d'avantages ni le faire souffrir au niveau de son dos. Elle se doutait bien qu'avec le choc contre l'arbre qu'il avait encaissé, il devait souffrir plus qu'il ne le laissait paraître.

Alors que le soleil commençait à décliner dans le ciel, ils arrivèrent aux abords d'une grotte. Cléya ne put s'empêcher de glisser un léger sourire en coin.

Il pleuvait à torrent, si fort que les gouttes lui faisaient mal et le froid mordant lui dévorait la peau. Un coup de tonnerre raisonna dans le ciel suivi par un éclair qui fit sursauter la jeune fille. Elle ne savait même plus depuis combien de temps elle marchait sous cette pluie, n'y voyant pas plus loin que de pauvres trois mètres et grelottant, complètement frigorifiée.

Il lui semblait que le sort s'acharnait sur elle, que tout l'Univers lui barrait la route en dressant devant elle des obstacles de plus en plus infranchissables. Cléya n'en pouvait plus, elle avait si mal aux pieds qu'elle n'osait même pas regarder leurs états, ce ne devait pas être très beau. Son cœur et son corps lui hurlaient de céder, de ne plus faire un pas de plus et de s'abandonner. Après tout, elle ne savait même plus pourquoi elle continuait à avancer, elle avait tout perdu. Elle n'avait plus rien. Rien, ce simple mot parvenait à lui serrer le cœur et à le compresser jusqu'au bord de l'éclatement. La ronce qui depuis le début tentait de la ligoter grandissait, bien trop rapidement, entravant ses pensées, ses gestes. Les épines de cette ronce lui transperçaient la peau pour mieux s'agripper à elle. La jeune fille n'en pouvait plus de cette douleur perpétuelle, ses genoux rencontrèrent le sol boueux avec violence.

《 Que cela cesse... 》 Songea-t-elle en laissant son corps retomber sur le côté.

Elle était à bout, elle voulait juste que tout s'arrête, le tonnerre grondait si fort qu'elle le sentais raisonner en elle. Un éclair zébra le ciel, l'espace d'une seconde, elle aperçut l'entrée d'une grotte un peu loin. C'était sa chance. Tout n'était finalement peut-être pas contre elle. Sa raison prit le dessus sur son cœur et, lentement, elle rassembla ses forces pour se relever. Chaque pas lui coûtait beaucoup, mais elle fit taire sa douleur pour avancer. Si on s'écoutait toujours, on ne ferait rien, compris-t-elle.

Cléya s'apuilla d'une main sur la paroi rocheuse de la grotte. Un éclair fendit le ciel, dévoilant une énorme silhouette juste à côté d'elle. Un son muet fut la seule chose qui tenta de sortir de sa gorge, elle était fichue. Reprendre une lueur d'espoir aussi rapidement était ignoble, elle se haïssait d'avoir espéré. Alors qu'elle s'attendait à ce que des crocs se referment sur son frêle corps, elle s'aperçut que la silhouette était immobile. Sa cage-thoracique aussi était immobile, il semblait mort.

L'adolescente se risqua à toucher la bête du bout de son poignard à la lame ondulée et à une aile de dragon en relief soudée sur son arme. Aucune réaction. Elle fit donc le tour pour voir le Tarkaïns de face et s'aperçut que celui-ci était éventré. Tournant les talons, elle se décida à entrer à l'abri.

Elle se dirigeait à tâtons en touchant la paroi rocheuse d'une main pour se repérer tant l'obscurité était omniprésente. Une lueur illumina la grotte quelques secondes et elle s'aperçut qu'une silhouette était au fond. Recroqueviller en boule, tremblant de froid, l'animal avait encore les yeux clos et semblait terroriser.

Saisissant son poignard franchement, elle s'approcha de la bête, prête à l'achever. Son geste s'interrompit, elle-même ne savait pas pourquoi. Pourquoi diable n'était-elle pas capable de le tuer ? Les Tarkaïns lui avaient tout pris, absolument tout. Ils étaient là cause de tout son malheur, ce bébé allait grandir, tuer, massacrer, anéantir. Comment se faisait-il qu'elle ne puisse abattre sa lame sur ce corps si fragile ? C'était pourtant un jeu d'enfant.

Ses doigts s'entrouvrirent légèrement et l'arme tomba au sol. Elle ne pouvait pas. Cet animal avait perdu sa famille lui aussi, il était autant terrorisé qu'elle, il n'avait plus rien lui non plus. Ils étaient pareils. Comment pouvait-elle tuer une créature sans défense qui ne lui ferait pas le moindre mal, du moins pour l'instant ? Il n'avait rien fais encore, il n'avait pas tué d'humain. Il était innocent, alors de quel droit pouvait-elle lui ôter la vie ? Cléya s'approcha doucement et le prit dans ses bras pour le réchauffer.

Tous deux étaient livrés à eux même, incapable de survivre tout seul. Elle, n'en avait plus la force. Lui, ne l'avait pas encore eu. Alors ils allèrent à l'encontre du destin, ils étaient voués à mourir ? C'est ce qu'on allait voir. La frontière entre haine et amour n'avait jamais été aussi mince.

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~Era