Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 1

Le soleil s'était couché. Les étoiles s'étaient levées. La neige avait cessé de tomber. Mais l'enfant des rues n'avait pas bougé depuis la veille. De loin, on aurait dit qu'elle dormait. Pourtant si on se rapprochait, on pouvait voir son visage tordu dans un dernier rictus de peur ébahie. C'était pareil pour toutes les victimes. Cette expression apeurée sur le visage et rien d'autre. Rien qui ne puisse témoigner de la manière dont ils étaient morts. Toutes les nuits, la chose assassinait un villageois. On le retrouvait le matin. Sans vie. Les habitants de Carmerie avaient peur. Peur de la chose qui choisissait chaque nuit quelques personnes pour les tuer.

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Le soleil s'était couché. Le village s'était endormi. La chose s'était réveillée. Elle renifla, hagarde. Tout soupçon d'humanité l'avait quittée depuis longtemps. Depuis cette nuit, cinq hivers plus tôt. Refoulant ces pensées parasites de son esprit, elle partit en chasse.

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La mère Jeanne, guérisseuse de Carmerie n'arrivait pas à dormir. Elle se retournait dans sa couchette bien trop petite pour une femme de sa corpulence. Finalement lasse, elle décida d'aller faire ses besoins. Elle se leva, s'étira et se dirigea vers ses latrines. Elle entendit alors un craquement sonore et tourna la tête vers la source du bruit. Elle poussa une longue plainte effrayée. C'en était fini pour elle.

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Le soleil s'était couché. Le village s'était endormi. La chose s'était réveillée. Sans préambule, elle alla chercher sa victime de la nuit.

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Denis, boulanger de Carmerie n'arrivait pas à dormir. Ses vilains souvenirs l'en empêchaient. Denis était un bon gars, du moins c'est ce qui se disait. Mais comme une petite moitié des habitants du village, il n'avait pas les mains blanches. Denis se souvenait bien de ce qui l'avait amené à participer au carnage. Et Denis avait honte, il avait honte de s'être laissé emporter. Comme une petite moitié des habitants du village, Denis avait une idée quant au mystère de la chose. Comme une petite moitié des habitants du village, Denis voulait oublier ce qu'il s'était passé, cinq hivers plus tôt. Comme une petite moitié des habitants du village, Denis avait remarqué. Il avait remarqué que seuls ceux qui étaient liés à l'affaire étaient partis dans l'éternel sommeil. Et Denis avait peur. Denis avait peur car il savait que son tour viendrait un jour ou l'autre. Denis repensa à la mère Jeanne dont l'enterrement aurait lieu le lendemain. Il irait, il appréciait la mère Jeanne, un bon brin de femme, conviviale, qui savait mettre les gens à l'aise. Pourtant la chose l'avait tuée. Soudain, il entendit un craquement sonore semblant venir de la cuisine. Il se leva, passa dans le salon prendre son vieux fusil de chasse et partit vers la source du bruit. Le lendemain, il ne put venir à l'enterrement de la mère Jeanne.

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Le soleil s'était couché. Le village s'était endormi. La chose s'était réveillée. Elle regrettait quelque peu son meurtre de la veille. Le boulanger était un bon gars. Mais c'était nécessaire. La chose était rancunière. Très rancunière. Et elle les tuerait tous.

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La vieille Anna, fermière de Carmerie dormait d'un sommeil agité. Tous les hivers, elle refaisait le même cauchemar. Anna revoyait cette femme, avec son gosse dans les bras, elle revoyait le couteau, envoyé par une des personnes présentes dans la foule ce jour, quel importance de savoir qui exactement ? Ils étaient tous coupables. Elle revoyait le couteau se planter dans la chair de la femme. Elle réentendait les pleurs du gamin, les cris de joie des villageois quand ils avaient constaté la mort de la femme, le dernier cri de l'inconnue. Aujourd'hui, la vieille Anna regrettait. Mais c'était trop tard. Elle entendit un craquement sonore qui la tira de son sommeil. Prudemment, elle se leva. Quand elle comprit qu'on allait lui faire payer son crime, elle fut heureuse. Elle le méritait. Et elle accueillit la mort à bras ouverts, débarrassée des souvenirs de cette nuit, cinq hivers plus tôt.

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Le soleil s'était couché. Le village s'était endormi. La chose s'était réveillée. Cette nuit, elle était en forme. Car cette nuit, elle allait enfin mettre fin à la vie du principal meurtrier. Un sourire carnassier fleurit sur son visage. Bientôt. Bientôt,sa vengeance serait terminée.

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Le père Cédric, pasteur de Carmerie n'était toujours pas couché, malgré l'heure avancée. Il relisait à la lueur de la bougie, pour la énième foi, la Bible. Il entendit alors qu'on sonnait à sa porte. Une voix de femme criait « Mon père, mon père, aidez-moi, je vous en supplie ! ». Il s'empressa de quitter son petit bureau pour aller ouvrir à cette femme en détresse. S'il tenait à la vie, il n'aurait pas dû...

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Le soleil s'était couché. Le village s'était endormi. La chose s'était réveillée. Cette nuit, elle ne tuerait personne. Elle aurait bien dû s'occuper de la couturière, seulement la chose était si fatiguée... mais sa vengeance n'était pas terminée...

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Lucie travaillait à l'atelier de couture au centre de Carmerie depuis l'affaire. Elle ne dormait pas et regardait la neige tomber par la fenêtre depuis son lit. L'affaire... elle y pensait un peu plus en ce moment avec la chose qui rôdait. Elle en gardait un souvenir... cuisant. Heureusement, la mère du gamin était morte. C'était elle qui avait lancé le couteau. Et elle ne regrettait rien. Elle était persuadée d'avoir bien agi. Sans sa mère pour l'initier, l'enfant sorcier n'était pas allé bien loin... mais quelques personnes comme la vieille Anna avaient été choquée par son acte. Enfin, maintenant s'en était fini pour la fermière. La chose l'avait tuée, et cela arrangeait bien Lucie. Petit à petit, elle s'endormit. Lucie ne sut jamais que cette nuit, elle avait échappé à une mort certaine.

© HIRONDELLE .,
книга «La chose.».
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