Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 3

Christine lança au gars que venait de crier un regard noir. Il n'aurait pas pu se taire ? Elle était épuisée par la journée qu'elle venait de vivre. Si la jeune femme de seize ans avait accouché au château de Turin, comme cela avait d'abord était prévu, elle aurait été séparée de son enfant. Alors elle avait fugué. Elle n'arrivait pas à y croire. Elle, Christine de France, fille du roi Henri IV et de la reine Marie de Médicis, et femme de l'héritier du duché de Savoie, Victor-Amédée 1er avait fugué avec un facilité déconcertante.

Le matin même, une calèche l'attendait à la sortie du château des ducs de Savoie et devait la conduire au château de Turin. C'était sans compter sur les brigands qui les avaient attaqués. Durant la lutte, Christine était restée cachée dans la malle dissimulée sous son siège. Quand les bruits de bataille avaient céssés, Christine avait quitté son abri et était sortie de la calèche. Le spectacle qui l'attendait au milieu du chemin l'avait glacé. La neige était tachée de sang. Les cadavres des brigands et des membres de son escorte s'entremêlaient au sol. Là, Christine aurait pu continuer à pied le chemin vers Turin qu'elle connaissait si bien pour l'avoir parcouru des dizaines de fois. Au lieu de cela, la jeune femme avait vu là une occasion de vivre avec son enfant et avait quitté le chemin pour s'enfoncer dans la forêt. Elle avait couru toute la journée dans la neige, son enfant sur le point de naître. La nuit tombée, elle avait aperçu au travers de la neige qui tombait les lumières caractéristiques d'un village. C'était l'énergie du désespoir qui l'avait fait continuer en direction de ce qu'elle pensait être un village, et c'était la même énergie qui l'avait soutenue durant son accouchement.

Quand Christine avait vu les cornes qui pointaient sur la tête de son bébé, elle avait vite compris leurs origines. Depuis toute petite, la princesse était rongée par un mal dont seule elle était au courant. Il était fréquent qu'une entité qui vivait en elle prenne le contrôle de son corps. Christine n'avait réussi à avoir une conversation -si les baraguinements qu'ils avaient échangés peuvent être appelés ainsi- avec elle qu'une seule fois. L'entité lui avait alors dit, d'une voix ténébreuse, qu'elle était là pour faire payer les crimes de son ancêtre. La jeune femme, qui était alors une fillette, lui avait bien évidemment demandé des précisions sur ces « crimes » et cet « ancêtre ». Mais l'entité était repartie dans les tréfonds de l'âme de Christine. Depuis ce jour, Christine redoutait le moment où l'entité vengeresse déciderait d'agir. Ce moment, il venait d'avoir lieu. Car en cette nuit de Janvier 1601, Christine de France, future duchesse de Savoie venait de mettre au monde un démon. Démon qui, si on suit l'ordre de succession, n'était autre que l'héritier du duché de Savoie. Christine ressentait un besoin de protéger ce démon, et l'aimait malgré elle comme une mère aime son enfant. instinct maternelle diriez-vous.

Tous les villageois alors présents lancèrent un regard scrutateur en direction de la tête du démon, pour confirmer les dires de Denis. Ce qui s'ensuivit fut, je vous préviens, assez funèbre.

***

Lucie travaillait à l'abattoir du village voisin et rentrait de cet affreux boulôt tous les soirs tard dans la nuit. Quand l'inconnue avait poussé son cri de détresse, Lucie venait de se mettre au lit. Elle s'était levée, rhabillée en vitesse et avait assisté à l'accouchement chez sa voisine, la mère Jeanne. L'enfant ne lui inspirait aucune sympathie, et, lorsque Denis avait crié de toute ses forces que c'était un démon, la jeune femme souvent affublée du surnom de « langue de vipère » était sortie avertir le village de cet incident. On avait alors fait sortir la jeune mère qui portait le nourrisson diabolique dans ses bras. Lucie ne savait pas qui avait lancé la première pomme de terre sur cette femme. Lucie ne savait pas non plus qui avait lancé la première insulte, et elle ignorait ce qui l'avait poussé à lancer le petit couteau qu'elle portait toujours dans son corset médical destiné à redresser sa colonne vertébrale, au cas où. Mais Lucie, portée par cette force inexplicable qui fausse nos jugements et amplifie nos émotions quand on est avec une foule -maintenant appelé l'effet mouton-, avait fait voler son couteau. Son but était de mettre fin aux jours de l'enfant démon mais c'était la mère qui avait pris.

***

Anna la fermière était à l'arrière de la foule et n'avait pas vu la femme s'écrouler au sol. Elle avait juste entendu le murmure abasourdie qui avait traversé l'attroupement de curieux. Anna était perdue dans ses souvenirs. Elle pensait à l'enfant qu'elle n'avait jamais eu. Au moment où la mère Jeanne lui avait dit qu'elle était infertile. Et elle pleurait. Soudain, un badaud cria « La mère démone est morte ! ». Des cris de joie retentirent. On tua l'enfant. Jeta le corps inerte de la mère dans la rivière - dont l'eau était glacée à cette époque de l'année-. Vraisemblablement, elle ne méritait même pas une place au cimetière. Anna se souviendra jusqu'à sa mort de cette étrange nuit, regrettera de ne rien avoir fait pour l'étrange inconnue. Anna était une brave femme. Pourtant, sur le moment, elle aussi avait raillée la jeune femme. Elle ne saura jamais que c'était Christine de France la fille du roi Henri IV dont elle avait vu le cadavre. Dans le petit village de Carmerie, on ne connaissait même pas le nom de son roi, encore moins le nom de ses enfants.

***

Douleur. Ramper... il fallait ramper vers la rive, quitter l'eau glacée. Puis ouvrir les yeux. Essayer de se mettre sur ses jambes. Tomber. Souffrir. Réessayer. Réussir. Lutter pour survivre. Supporter ce supplice. Sentir cette blessure dans sa poitrine, juste au-dessus de son cœur. Comprendre qu'on avait tué son enfant. Hurler. Pleurer. Puis réfléchir. Observer leurs habitudes, préparer ses armes. Attendre son heure. Les voir être heureux, oubliant leur crime. Perdre la notion du temps. Perdre presque tous ses souvenirs. Perdre toute son humanité. Sa compassion. Ses idéaux. Ses sentiments. Devenir une machine animée dans un seul désir de vengeance. Puis, enfin, venger l'enfant démon. Tous les tuer. Un à un. Et mourir à son tour.

~ Fin ~

(on aime pas les happy end)

Ps: et avant de finir, je tiends à dire que Christine de France a vraiment existé (enfin, d'après Wikipédia XD).

© HIRONDELLE .,
книга «La chose.».
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