Emma
Louise
Juliette
Juliette
《 Putain Juliette, y'a quoi dans ta tête ? 》

Invincible, plus rien ne me blesse. Plus personne, plus aucun mot, plus aucune lame n'auront mes larmes. J'aurai plus jamais peur, j'aurai plus jamais froid, je serai plus jamais vide.

Je me suis évadée, me voilà en pleine cavale sur le bord d'un verre de vodka. Je suis sans tête, sans armure, nue de la pensée. Mon corps n'apparaît plus, je n'existe plus, je ne suis plus là, je suis dans ma tête, et ça grelotte, là-haut. J'ai pas froid, mais les frémissements, la morsure, le vent hiémal, je le ressens au plus profond de mes tripes, qui se sont faites dépouiller par autrui. J'ai perdu mon foie, ma foi, quelque part au niveau de la porte d'entrée, cette nuit.

Les gens autour de moi se bousculent, je ne suis personne, et tout le monde à la fois. Je suis moi, moi, moi, et je n'existe pas. J'ai été inventée. Je suis un concept platonique, créée à partir de fibres de rêves, et j'agis avec la force de ce que m'a légué la vie. Je suis où, déjà ? Où suis-je ? Je suis chez Claire, mais c'est qui, Claire ? Je ne vois pas, je suis devenue aveugle par les néons. Les aveugles voient de très jolies couleurs, j'aime le noir éclat blanc, comme quand on regarde le soleil trop longtemps.

Je me ressers un verre, parce qu'il faut bien vivre avec son temps, ses potes, ses clopes, ses cloques. Mon nez me picote, j'éternue, je crois que j'ai vu des choses étranges, je perçois les gens habillés en bleu cosmonaute. Ah, c'est pas des cosmonautes ? Mais c'est quoi, alors ? Des fils de pute ?

Je comprend plus rien, le monde s'écrase dans mon estomac. J'ai d'un coup si chaud, c'est un bout de l'Enfer qui brûle ma carcasse. Je m'assois à côté de personnes sans visage, contre un mur de crépis, au milieu de poubelles adolescentes. Je finis mon verre, parce qu'il faut être polie, hein, j'suis pas une salope, moi, je finis ce que je me sers, hein. Je fais pas les choses à moitié, contrairement à certains.

J'fais de mon mieux putain.

Je fais de mon mieux.

On me tend des cristaux, si brillants, si beaux, sous la lumière morte. Des petits anges viennent me chercher, je les fume. Olivia fume, elle aussi. Peut-être pas la même chose, mais elle le fait quand-même. Quand je la revois incendier la ville avec un briquet, je me rappelle pourquoi je l'aime.

Elle est belle, bordel. Je t'aime. Je t'aime tellement. Je veux mourir pour toi, tes bras de fumée, tes lèvres d'Ankou, je veux t'embrasser et m'éclater le cœur devant toi, me dépecer vivante sous ton beau regard.

J'ai trop de peau sur moi, ça me gêne. Je décide de m'amputer des oreilles, pour le bruit qui pourrie ici-bas. Trop de basses, de contre-basses, de riffs et de boom boom boom. J'entends le moindre murmure, le plus ridicule cri, et ils s'immiscent dans mon esprit, ma tête est remplie d'anguilles électriques.

Allez tous vous faire enculer, t'façon j'ai baisé ta mère.

Je me relève dans un titubement, et déambule dans le clair-obscure. Je suis une peine sans âme. le plancher m'apparaît cimetière, les murs sont des prisons qui parlent. Je ne les entends plus, et c'est beau. C'est beau à s'en crever les yeux. Une fille semble rigoler, juste à côté de moi, mais je ne sais pas si elle pleure. Je passe mon chemin, mes jambes faiblissent, je ressens une pointe d'amertume sur la langue, comme si l'alcool me parle. Je parle. Je m'exprime. Tu m'entends ? Si tu entends celle qui n'a pas d'oreilles, retourne te coucher.

Je m'écroule. Je ne peux plus hurler. Tout est coincé dans ma gorge. Je veux crier. Je veux beugler. Qu'on me laisse m'arracher à mains nues mes putains de cordes vocales, et dégueuler mes mots ensanglantés sur le sol. Ils découlent de ma tête, je les sens glisser hors de mes oreilles sans tympans. Je me décapite d'amour, en passant mes doigts froids sur mon cou.

《 Putain Juliette, mais qu'est-ce que t'as fait ?! 》

Je suis en pleine possession de mes moyens, et je sais ce que je fais. Je me tiens devant la mer du monde, assise au rebord de la fenêtre de l'univers. Je vois le firmament, et les bateaux qui y naviguent. Je meurs d'y faire une baignade, mais, ne sachant nager, je préfère me noyer dans le bitume, le gris et le morose, en m'imaginant que ce sont les bras d'Olivia.

Ouvre les yeux sur la Terre, et vois qu'elle tourne à l'envers. Tout s'est inversé, on vit pour retourner dans le passé. Je m'en fous, si je reste ici, c'est pour me souvenir de ta main tendue. Je peux encore me voir l'agripper, pour ne plus jamais la lâcher, mais je ne touche plus que du vide, plus qu'une solitude enfouie.

J'espère pourtant encore que quelqu'un m'attend sur le port galactique, pour m'emmener ailleurs.

Je ne veux plus avoir mal, je ne veux plus me cacher, je veux qu'on voie comment je fonctionne mal. Là, un boulon est mal resserré, je claque, je clamse, je crève. Je ne comprends pas la manière dont je fonctionne, tout m'apparaît si flou, quand je préconise la fin des Temps, pour une Voie Lactée plus éclatante. Personne n'est derrière moi, personne ne va me pousser, me forcer à aller de l'avant. Le Grand Saut dans l'Océan étoilée, où je pourrais y naviguer pour l'éternité. Quand la vie s'arrête, je ne stoppe pas pour autant les petites pilules colorées, elles m'offrent une nouvelle vie, je suis dans un jeu-vidéo, je vais sauver ma princesse, et me battre contre des entités maléfiques.

Il fait tout de même frais, dehors. C'est la nuit. Je me mets debout, face à la lune qui ne m'aide pas, elle reste stoïque, bien à sa place, comme si je ne comptais pas. Pourquoi cette haine si soudaine ? Je t'apprécie, pourtant ! Je t'aime, et tu me jettes. Va crever, moi. Je ne sais pas pourquoi je me sens autant concernée par l'ordure que je suis.

Mon cœur gigote, des démons sont nés à l'intérieur. Il va y éclore des fleurs du mal. Je grince, je suis une épave, une remontée de dégoût me prend à la gorge. Je déteste. Je déteste tout le monde. Il n'y a pas de cosmonautes dans le port de l'espace, et ça me donne envie de pleurer. Mes bras me picotent, mes cicatrices me brûlent. Je me lamine la peau. Je me lamine le cœur. Je me lamine l'âme.

Je souhaite disparaître.

Le ciel tangue, les étoiles se rapprochent de moi, je perds l'équilibre. Tout s'arrête.

《 Putain, Juliette... 》

Qui a éteint la lumière ? J'ai peur du noir. S'il-vous-plaît. Rallumez l'ampoule.

Mes yeux me brûlent, comme si on y avait versé de l'acide. Mon cerveau fuit par les oreilles. Mon corps est écrasé contre le parquet du cagibi. Je tente de me relever, mais je suis morte. Mes muscles raides, ma dépouille lacérée d'éclats d'obus, je dégueule une nouvelle fois sur moi. Je ferme les yeux, crève mes orbites d'infamies, alors que mes poumons menacent d'éclater à chacune de mes inspirations.

J'ai la gueule en sang, et mes mains sont poisseuses. Je ne sens plus les battements de mon cœur.

La porte s'ouvre.

© Nanala,
книга «Trois noms».
Коментарі
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ROOTS BLOODY ROOTS
Juliette
Comment exprimer ce que je ressens après avoir lu un texte d'une telle violence physique et émotionnelle ? C'est presque dépourvu de sens mais les mots riment si bien entre eux qu'on dirait un rap. C'est bizarrement compréhensible sans effort, mon cerveau recrée chaque sensation, la musique, les bruits de gens, le bitume, la douleur, et la douleur intérieure, cette crise existentielle. On est bourrés, ou défoncés, on est dans un feverdream ou en pleine démence, dans une crise psychotique. On est désespérés. Je voudrais une fin heureuse avec ou sans Olivia.
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2020-10-28 09:51:02
1
Nanala
Juliette
@ROOTS BLOODY ROOTS Juliette "rappe", elle est dans la misère et le pathos le plus glauque qu'il soit : elle boit, fume, se drogue, elle en est ridicule dans sa violence, pathétique à vouloir s'échapper à chaque fois, pour se retrouver bloquer par ses propres chaînes. Olivia sera ou ne sera pas, Juliette est l'une de ces personnes irrécupérables dans leur détresse.
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2020-10-28 14:55:10
1