Emma
Louise
Juliette
Louise
J'ai beaucoup pensé au suicide, cette semaine. Comme une porte de sortie.

Je n'ai pas la prétention de dire que ce que j'essaye d'écrire a un sens. Peut-être que mes mots sonnent creux, et ils le sont sans doute. Je cherche à trouver des symboles, des souffles, qui me réveilleront de ce sommeil léthargique, comme engourdi par un hiver interne.

Mon sang palpite à mes oreilles, j'entends tous les bruits de l'aube qui se lève.

Un nouveau jour de plus sur Terre.

J'ai des termes doux, des phrases en plastiques, des larmes couleur pétrole. Si j'éteins la lumière, je rallumerai une bougie. "Je", c'est ce "moi" qui m'apparaît comme une étrangère. Je ne la connais pas, mais elle, si. Elle est née, et à vécu à mes côtés depuis toujours. La vie qui s'émane d'elle est chaude, rassurante. Léger tel un papillon, elle me nargue à travers les miroirs, les flaques d'eau, tout ce qui est "moi" sans être ce "nous".

Ah, si elle pouvait crever, celle-là.

Mes pensées tournent dans ma tête, et je me retourne dans mon lit. Draps, couettes, froid, chaud. Tout et son contraire, mon téléphone qui pleure de notifications ignorées, qui s'encombrent comme des idées informes. Si je l'allume, cette lumière fausse, si je lis ces mots pixelisés, aurais-je de nouveaux yeux ?

Ah, elle a de beaux yeux, Olivia.

Regard de cendre, dans le vague, dans la lune. Sur sa propre petite planète, où elle allume ses cigarettes avec de la poussière d'étoile. Elle est ici et ailleurs. Elle est belle.

Un amour grinçant, qui pique, me brûle. Olivia, pourquoi n'éteins-tu pas tes clopes ? J'ai la sensation de partir en fumée, avec un cœur trop vivant.

Partir en fumée pour elle. Une exquise idée. Quoique... elle ne le remarquerait pas. Elle ne me voit pas. Je n'existe pas. À ses yeux éteints, je dois être un arbre, une brique, un lampadaire. J'envoie des fleurs, des roses, des lettres imaginaires. Dans ma tête, je l'ai faite reine de Versailles, couverte d'or, d'un dédain royal, de mystère.

Le Palais des Glaces, où je verrai tous mes reflets. Que prononcer ? J'ai des phrases, j'ai des mots, mais ils sonnent tous faux. Rien n'est bien accordé, roue libre sentimentale que j'observe, lointaine à mes propres erreurs.

Un verre, trois strophes, je relis "Alcools", "Les Fleurs du Mal", et je me sens étrange, saoule, quelques grammes d'une joie éphémère dans les veines. La Terre est ronde, plate et carrée, triangulaire et en forme de croix. Si j'écoute ce "moi" qui se noie, j'entends le rire d'une autre. Je t'enterre ?

Oui, je t'enterre. Sous un arbre, un cerisier. Celui de mon jardin d'enfance. Celui qui, même le tronc pourrit par les parasites, les champignons, les insectes et la peste, fleurit chaque année, et donne des fruits.

C'est tendre, ce souvenir enfoui. Ma joue est sèche, mes lèvres gercées. J'irai brûler, pour mes péchés.

Les lèvres d'Olivia sont ternes. Son haleine de cendrier n'en séduit aucun. Elle n'intéresse pas grand monde, en fait.

Amour interdit depuis longtemps par Dieu, si j'en crois ce que d'autres m'ont dit, venant de livres anciens, écrit dans des langages morts. Je regarderais cette fleur solitaire se faner à l'approche de l'hiver. Je traduirais mes jolis mots, mes phrases en plastiques, du latin au mandarin, du turc au grec, du flamand à la première langue du monde. Je dépecerais tout ce qui résonne juste, bien et pieux. Je ne conserverais que les insultes, les mauvais, les cas graves.

Mes "Je t'aime" seront des appels à l'amour sensuel.

Ah, mon cœur me serre, j'en ris de le perdre.

Avec cette tendresse éhontée, débordante, je risque d'étouffer les autres. Je distribue de l'affection, en veux-tu en voilà, tout pour les autres, rien pour "moi". Aimez-moi, mais non. Je n'attends aucun retour, aucun remboursement. L'amour que j'ai pu donner, qu'il me soit renvoyé ou non, je ne l'ai jamais regretté.

Olivia regardera d'un air étonné le cadeau que je lui offrirai. Un grand, très grand collier, composé de perles d'âmes et de coquillages échoués. Une offrande pour un ange, lui dirais-je. Si tu aimes, jette-le, carbonise cet amour bardé d'épines de roses et de névroses.

Absurde et belle, elle commencera par me parler de ses petites rêveries. Une esquisse sur une vitre, de la buée, la fumée de ses sucettes de la mort.

Avec un peu de chance, elle s'intéressera à moi, me rejettera, et, qui vivra mourra. D'une délicate attention, elle effleurera le haut de mon manteau, pour y dégager une poussière. Si absente de nature, elle redécouvrira le monde, le temps d'une seconde, avant que son âme ne reparte, plus loin dans les étoiles.

L'alarme incendie de mon corps s'est enclenchée : mon cœur est contaminé, rempli de vapeurs, de poudre noire, de sentiments indignes.

Je passe ma tête sous l'oreiller. J'étouffe mon bruit interne, la sonnette qui hurle. Quatre heures, sept heures, huit heures, mon heure venue.

L'horloge crachote son tic-tac, son œil noir, glacé, du haut de l'Univers, observe avec mépris les êtres. Qu'elle me juge. Elle ira se faire foutre ailleurs.

Dors, dors,
L'enfant sot.
Dors dors,
Tu rêveras bientôt.

Ah, plus que quelques grands cauchemars, et tout se finira. Je ne serais qu'un peu triste quand, du haut de la fenêtre, en haut de cette maison, je chavirerai vers d'autres horizons.

Pas tout de suite, dans très longtemps, une minute ou deux. Si j'attache mes espérances à une corde, vivront-ils mieux ? Soufflera, dans l'air du temps, un battement de cœur inconscient.

Ma peau se craquèle, je fume, crache mes poumons. Fièvre de quarante degrés, ressentis interne de deux-cents. Je ressens la pointe de la plume, le crayon mal taillé, taillader ma peau. Mes veines me piquent, comme cet amour, elles me piquent et me blessent, me promettent un silence réconfortant, si j'extrais le liquide rougeoyant.

Ah, que ce monde m'emmerde.

Que je hurle, que je crie, que je le chuchote : si, je te hais, "moi". Va pourrir au fond d'un ravin.

Ah, ah !

Ah...

Je me tais, je m'étouffe dans mes draps, dans mon linceul. Aucune larme pétrole dans les yeux, ne soyons pas faible à ce point. Si je suis loin de cette vie que je ne méritais pas, si je suis loin de ce "moi", je n'ai plus rien à faire, de ce monde. Je le déteste, même.

Je le déteste.
Je le déteste.
Je le déteste.
Je le déteste.
Je le déteste.
Je le déteste.
Je le déteste.
Je le déteste.
Je le déteste.
Je me déteste.

Je veux mourir.
Je veux partir.
Je veux aller loin.
Je veux rejoindre ma mère.
Je veux clamser dans mon coin.
Je veux quitter cette terre.

Une brûlure interne, un cri errant.

La nuit est terne, un mot mourrant :

《 Louise. 》

Mon âme est un incendie.

Je prends la porte de sortie.

© Nanala,
книга «Trois noms».
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ROOTS BLOODY ROOTS
Louise
Ah, cette fois, un texte à la fois relatable et personnel. On s'est sûrement tous répétés "je le déteste" en criant dans sa tête, mais là c'est toi qui le dit, c'est Louise l'actrice et le personnage principal de la pièce de ce soir. Je sais pas si on te l'a déjà dit, mais tu es tellement honnête dans tes écrits. Il y a des belles tournures, des phrases marquantes (dont les deux premières), mais tout est sincère, tu nous sers tes pensées et ton imagination sur un plateau d'argent sans gravures. Et le rythme de tes mots est incroyable, il est capable de faire accélérer notre rythme cardiaque et nous étouffer dans le linceul de Louise. J'espère que Louise a disparu pour laisser place à son alter ego plus heureuse, plus légère. Elle le mérite, c'est la seule chose que peut espérer le lecteur.
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2020-10-28 09:38:39
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