— Lou, grouille-toi ! On va être en retard.

— J'arrive ! Laisse-moi juste le temps de mettre la main sur ma deuxième Doc...

Je retins un soupir et levai les yeux au ciel. J'avais beau l'adorer, elle mettait toujours trois heures à se préparer le matin. C'était beaucoup plus rapide pour moi. Une chemise, un slim, des Converses et l'affaire était pliée. C'était simple mais c'était ce que je voulais : éviter d'attirer les regards trop curieux.

— C'est bon, lança mon amie en me rejoignant dans l'entrée.

— Bonne rentrée les filles, nous salua son père qui était encore en train de boire son café.

— Merci papa.

— Merci Éric, à toi aussi, répondis-je poliment.

Nous habitions à dix minutes à pied du lycée mais nous arrivions quand même à arriver souvent en retard. Et si nous ne nous dépêchions pas un peu, ça allait être le cas aujourd'hui. Nous avons donc dû courir pour arriver à l'heure. Heureusement que nous étions toutes les deux très fortes en sport. Mes bonnes capacités physiques étaient aussi un de me atouts. Je fatiguais moins vite que les autres et j'avais plus de force que les garçons de ma classe. Après avoir rapidement vérifié notre classe, nous nous sommes dépêchées de trouver la salle comme les autres semblaient déjà être rentrés. Heureusement pour nous, notre professeur s'était absenté pour aller chercher des documents lorsque nous sommes arrivées. Nous avons par contre dû nous séparer comme il ne restait aucune place côte à côte. Je lançai un regard noir à Lou quand elle se précipita pour s'assoir près d'une fille de notre classe de l'an dernier, ne me laissant pas d'autre choix que de me mettre à la dernière place disponible, à côté d'un brun aux airs renfrognés au fond. Je me trainai sans entrain jusqu'à ma place et commençai à sortir mes affaires tandis que mon voisin m'ignorait superbement, ce qui m'allait parfaitement. Notre professeure principale qui était aussi notre professeur d'histoire, madame Cres-sin arriva alors, nos emplois du temps en main.

— Bien, reprenons. Je vais faire l'appel et vérifier et vos options pendant que vous allez me remplir une fiche avec vos renseignements personnels. Je veux y voir apparaître votre nom, prénom, votre adresse, votre moyenne générale de l'an dernier ainsi que le métier que vous désireriez exercer. En silence s'il vous plait, ajouta-t-elle comme des murmures commençaient à s'élever dans la salle.

J'écrivis en deux minutes les informations avant de faire tourner machinalement mon stylo entre mes doigts en attendant la suite. Je sursautais lorsque madame Cressin appela mon nom et mon crayon m'échappa des mains, heurtant le torse de mon voisin. Je bafouillai une réponse positive au professeur lorsqu'elle énonça mes options avant de me tourner vers lui pour m'excuser, les joues rouges de gêne. Et alors j'eus le souffle coupé. Bon sang, qu'il était beau ! Ses cheveux couleur ébènes renforçaient son côté mystérieux et ses mèches avaient l'air si douces que je me retins à grande peine de passer ma main dedans, fascinée. Ses traits masculins le mettaient bien en valeur et ses longs cils soulignaient ses yeux bleu topaze. Je fronçai les sourcils. Je n'avais jamais vu des yeux d'une telle couleur, ce ne devait pas être très commun. Bizarrement, ils n'étaient pas sans me rappeler les miens et je ne pus en détacher mon regard. Qui était-il ?

Il me sortit de ma contemplation en me tendant mon stylo, un sourcil arqué en me voyant le détailler de haut en bas. Je rougis encore plus en marmonnant quelques excuses avant de vite détourner le regard, les joues en feu. Sauf que c'était maintenant lui qui me dévisageait et je cru déceler une expression étonnée dans ses yeux. Finalement, c'était bien aussi quand il m'ignorait. Je posai sagement mon Bic sur ma table pour éviter un nouvel accident et attendis que l'on vienne ramasser les fiches. Je n'osai rien dire comme je venais moi-même de l'inspecter sans gêne alors je me contentai de regarder le tableau face à moi.

Pendant le reste des cours jusqu'alors du midi, je le sentis me regarder de temps en temps alors que j'essayer de rester imperturbable. Je m'empressai de rejoindre Lou et de fuir ce regard bien trop inquisiteur à mon goût. Nous nous sommes installées dans la cour pour manger notre repas du midi. La mère de mon amie était une excellente cuisinière et elle nous préparait chaque jour un panier repas, bien meilleur que ceux de la cantine. Nous étions d'ailleurs plusieurs à avoir fait ce choix de manger dehors, préférant profiter des beaux jours.

Lou se moqua de moi lorsque je lui racontais l'incident du stylo et ne put s'empêcher de reluquer sans vergogne mon voisin qui mangeait lui aussi à l'extérieur avec un blond à une dizaine de mètres de nous. C'est à ce moment que Gabriel vint nous rejoindre alors que Lou riait toujours. Je lui racontais donc aussi avec embarras la raison de son fou rire.

— Oh lui, c'est Lysandre Agrest, nous apprit-il. Il a emménagé près de chez moi il y a une semaine avec celui à côté de lui, Dace Foster. De ce que j'en sait, ils vivent seuls dans une grande maison avec leur majordome Nathanael. Je lui ai déjà parlé quelques fois, il est très gentil. C'est lui qui m'a appris leur nom et qui m'a dit qu'ils venaient de l'étranger. En revanche, je ne connais pas leur lien. Ils n'ont pas le même nom de famille et ils ne se ressemblent pas du tout, peut-être qu'ils sont cousins.

Je me tournais vers ces mystérieux garçons, détaillant plus attentivement le blond. Je fus frappée par ses yeux d'un vert émeraude éclatant. Il semblait vraiment avoir deux pierres précieuses dans les yeux. Je baissai la tête, pensive. Je n'avais jamais rencontré de toute ma vie une personne aux yeux semblables aux miens, brillants comme des cristaux et voilà que j'en rencontrais deux dans la même journée. Ça me paraissait un peu gros. Pour le coup, j'étais bien contente d'avoir pensé à mettre mes lentilles ce matin comme il m'arrivait parfois de les oublier dans la précipitation.

Quand je relevai de nouveau le regard, ce fus pour me perdre dans celui d'un océan de bleu. Surprise, je sentis ma gourmette chauffer contre ma peau. Je posai ma main par-dessus par réflexe et je vis les yeux de Lysandre suivre mon mouvement, la mine surprise. Je me détournai pour faire face à mes deux amis. Je savais que Lou était sur la même longueur d'onde que moi et qu'elle était aux aguets du moindre signe paranormal. D'un signe de tête, elle me fit comprendre que nous en parlerions plus tard et j'acquiesçai discrètement d'un air entendu.

Gabriel nous raconta sa rentrée pendant le reste de l'heure du midi. Il était en terminale ES et nous partagerions donc sa classe pendant l'option mathématiques, cinq heures par semaine. Il nous informa d'ailleurs que le fameux Dace serait également avec nous. Super, j'avais soudainement moins hâte d'aller dans ce cours cet après-midi. J'avis beau être considérée comme une littéraire, j'aimais aussi beaucoup les maths.

A quatorze heures, nous sommes finalement remontés dans nos salles respectives. Nous avions deux heures d'anglais et cette-fois, nous avons réussi à nous mettre à côté. Au bout de vingt minutes, mon amie sortit une feuille qu'elle plaça entre nous deux.

Tu as vu leurs yeux ? Je suis sûre qu'il y a quelque chose à creuser, tu ne peux pas être la seule dans ce cas-là.

Je levai la tête vers notre professeur pour m'assurer de notre discrétion avant de me pencher à mon tour sur la feuille.

Moi aussi je sens qu'il y a quelque chose de bizarre. Ma gourmette a commencé à chauffer ce midi quand Lysandre m'a regardé et elle ne fait ça que quand j'utilise mes pouvoirs normalement. Je pense qu'il vaut mieux que je me fasse discrète.

Elle s'empressa de me répondre. Visiblement, ce qui se passait l'excitait beaucoup.

Même s'il y avait une infime chance pour toi de pouvoir comprendre d'où te viennent toutes ces capacités ? Arrête de faire l'innocente, je sais que tu meures d'envie de savoir et moi aussi.

Je levai les yeux au ciel mais ne répondis rien. Bien sûr, elle avait raison. Mais je n'étais pas forcément sûre que j’apprécierais la réponse. Ni même qu'ils la détenaient d'abord. Non, mieux valait les observer plus longtemps d'abord pour en être certaine avant de tenter un quelconque rapprochement. Je fis donc part de mes intentions à mon amie qui m'approuva totalement.

Il fut finalement l'heure de se rendre au dernier cours de la journée, les mathématiques bien entendu. Lou me demanda si ça ne me gênait pas si elle se mettait à côté de Gabriel et je lui assurai que non. Finalement, il avait peut-être une chance avec elle, me dis-je en m'installant à une table près de la fenêtre. Le bruit d'un sac balancé sur la table à côté de moi me tira de ma rêverie et je cru halluciner en voyant Dace s'installer.

— Salut petite blondinette, m'apostropha-t-il en m'adressant un clin d'œil. Je me présente, je m'appelle Dace.

Je le dévisageai, méfiante.

— Enchantée je suis Eiya, lui répondis-je toutefois.

— Joli prénom blondinette. Ça ne te dérange pas si je me mets là ?

— Vas-y, ce n'est pas comme si tu avais déjà sorti toutes tes affaires de toute manière, lui fis-je remarquer.

— Pas faux.

Bon sang, il avait vraiment un très beau sourire. J'étais certaine qu'il était du genre charmeur alors j'étais décidée à ne pas me laisser faire. Pendant toute l'heure, il essaya de glaner des informations sur moi. Je consenti à lui dire que mes parents étaient morts sans préciser qu'ils n'étaient pas mes parents biologiques, que j'habitais chez Lou et que j'avais un chat Spyro dont j'étais complétement gaga. Mes parents me l'avaient offert pour mes quinze ans et j'avais été tellement contente quand les Maury avaient accepté que je le garde. J'appris en retour qu'il comptait entrer dans l'équipe de basquet, qu'il était fils unique et qu'il n'avait aucun lien de sang avec Lysandre. Il se contenta de me dire un "c'est compliqué" quand je lui demandais ce qui les avait amené ici et pourquoi ils habitaient ensembles puisqu'ils n'avaient pas l'air de s'entendre aussi bien que je l'avais supposé.

— Tu as une couleur d'œil assez particulière, osai-je lui faire remarquer à un moment.

— On me le dit souvent. Mais je ne pense pas être le seul à avoir des yeux remarquables.

— Tu parles de Lysandre ?

— Bien qu'il serait content d'entendre ça, non, je ne parlais pas de lui, précisa-t-il en me lançant un regard éloquent.

-Qu'est-ce que tu veux dire ? l'interrogeais-je en commençant à paniquer intérieurement.

Il m'observa un moment qui me parut durer une éternité avant de finalement se détourner.

— Rien. Je me demandais simplement ce que je verrais si tu enlevais tes lentilles de contact.

Je me crispai et mon crayon de bois se fissura dans ma main. Le blond le remarqua et me le prit des mains sans un mot. Il le serra dans son poing un instant et je sentis un picotement familier m'effleurer. Sauf que cette fois, il ne venait pas de moi. Lorsqu'il me tendit mon crayon, le bois étant comme neuf. Je n'en revenais pas. Là, à l'instant, juste sous mes yeux...

-Sûrement quelque chose d'intéressant, reprit-il par rapport à sa remarque précédente. Tu veux savoir comment je le sais ? ajouta-t-il en se penchant vers moi. Une personne normale serait bien plus déstabilisée par ce petit tour de passe-passe si elle ne connaissait qui à la maie élémentaire. A plus petite blondinette !

Et il partit sans se retourner comme la cloche avait dû sonner quelque part pendant son discours, me laissant plantée sur ma chaise, abasourdie. Moi qui voulais juste passer une rentrée normale, c'était raté. Mince, mais qu'est-ce que venait de se passer ?