Eiya Asahina. Rien que mon nom et mon prénom suffisaient à attirer l'attention sur moi et sur mon histoire peu banale. Déjà, j'avais été retrouvée à l'âge de quatre ans devant la porte d'un orphelinat dans un coin perdu de Bretagne. On ignorait tout de mes origines hormis mon prénom qui était inscrit sur le pendentif que je portais en permanence autour du cou, seule trace de mon ancienne vie. Et même cette chaîne était un peu différente. Elle était faite dans un argent scintillant aux doux reflets mauves et il m'arrivait parfois d'avoir l'impression de sentir une légère chaleur irradier de mon pendentif. Je n'avais d'ailleurs pas tardé à être adoptée par un couple d'une rare gentillesse : les Asahina. Je devais ce nom peu commun dans mon pays à mon père qui avait des origines japonaises. J'avais vécu douze ans avec eux avant qu'ils ne meurent dans un accident de voiture en rentrant d'un dîner chez des amis auquel j'avais refusé de me rendre. Au début, je me disais que j'aurais dû être avec eux mais ma meilleure amie Lou avait réussi à me sortir de cet état de culpabilité. Que je sois avec eux ou non n'aurait rien changé, il y aurait juste eu une victime en plus. J'avais alors seize ans et la mère de Lou avait réussi à obtenir ma tutelle pour les deux années qui me séparaient alors de la majorité. Cela faisait donc un an que je vivais chez les Maury.
Lou était ma seule amie. Elle était ma voisine depuis mon adoption et comme elle était souvent mise de côté par les autres enfants, nous avions facilement noué des liens. Elle était ce genre de petite fille à adorer les insectes et à se comporter comme un garçon manqué. J'avais l'habitude des choses étranges et différents, aussi ça ne m'avait pas dérangé le moins du monde. Aujourd'hui, elle avait quitté ses allures de garçonne pour adopter un look plus rock, inséparable de sa veste en cuir bleue et de ses Doc Martens. Elle avait récemment décidé de teindre en bleu électrique certaines de ses longues mèches brunes et je devais avouer que malgré mes craintes ça lui allait vraiment bien. Nous restions toujours à deux et cela nous suffisait amplement. Il arrivait parfois qu'Elouan, un garçon qui pensait craquer discrètement sur Lou et qui était son voisin en maths, se joigne à nous pour manger le midi ou vienne avec nous à quelques sorties ciné mais à part ça, nous évitions de nous mêler aux autres.
Si c'était plus par mauvaise expérience pour Lou, c'était surtout pour cacher notre plus gros secret. Mon secret. Parce que oui, au-delà de mes origines inconnues, de mystérieux se manifestaient parfois chez moi. Si mes cheveux couleur miel semblaient normaux, c'était loin d'être le cas pour mes yeux indigo que je cachais sous des lentilles de contact. Mais j'aurais été tranquille sui ma différence ne s'étendait qu'à mon physique. Lou et moi avions plusieurs fois été témoins de mes dons un peu spéciaux. N'importe qui m'aurait cru folle en m'entendant dire que j'avais un véritable lien avec les éléments mais Lou m'avait toujours considéré avec le plus grand sérieux lorsque je lui avais avoué mon secret. J'étais angoissée, n'en ayant parlé à personne avant, pas même à mes parents mais elle m'avait cru alors que je n'avais aucune preuve concrète à lui apporter, ne contrôlant pas mes capacités.
Elle avait assisté à cet étrange spectacle pour la première lorsque nous nous étions rendue une fois sur la tombe de ma famille adoptive. C'était un soir d'automne et les fleurs sur leur tombe commençaient à se faner. A peine en avais-je effleuré une en essayant de la redresser que toutes celles présentes sur la pierre tombale avaient repris leurs couleurs et leur éclat naturel. Puis il y avait la fois où la colère m'avait fait brûler un devoir de physique. La fois où un vent mystérieux avait dévié un ballon qui me fonçait dessus. La fois où Lou avait voulu me pousser dans la mer et où je m'étais contenté d'atterrir allongée sur l'eau qui semblait me porter, pas mouillée pour un sou. Le plus étrange était sans aucun doute ce jour où mon amie s'était ouvert le doigt avec un morceau de verre et où la coupure s'était refermée derechef dès que j'avais pris son doigt dans ma main pour l'examiner. Je pensais jusque-là que mes pouvoirs se limitaient à une certaine maîtrise des éléments mais il n'y en avait aucun à ma connaissance qui permettait de guérir les autres.
J'avais cependant quelques autres atouts, bien utiles au quotidien comme mon excellente mémoire et ma facilité à intégrer une nouvelle langue. Nous nous en étions rendus compte lors de vacances au Portugal avec la famille de Lou. Je ne parlais qu'anglais et espagnol que j'avais appris en cours, en plus du français qui était ma langue natale mais certainement pas un mot de portugais. Pourtant, dès mon troisième jour de vacances, je m'étais retrouvée parfaitement bilingue, échangeant sans effort avec les habitants. J'avais donc cessé de chercher à mettre un nom sur mes capacités et m'étais contenté d'essayer de vivre la vie la plus normale possible, ce que je réussissais la plupart du temps du moment que mes émotions restaient sous contrôle.
J'avais appris à me fondre simplement dans la masse, c'est pourquoi je n'appréhendais pas cette nouvelle rentrée, qui était ma dernière en tant que lycéenne. Comme d'habitude, nous avions tout fait avec Lou pour nous retrouver dans la même classe, choisissant les mêmes options. Nous étions en terminale L option mathématiques. Cela pouvait paraître dérisoire, mais je rêvais de pouvoir un jour ouvrir ma petite librairie indépendante, créant ma propre petite ambiance conviviale. Mon amie, quant à elle, voulait devenir professeur de langue. Bref, c'était donc sans appréhension que je pensais à ma rentrée en en terminale le lendemain. Mais ça, c'était avant que de nouvelles rencontres ne viennent tout remettre en question et me sortent de ma normalité...