Touchée, coulée
Je ne sais pas ce qui fait le plus rire. Le fait que personne n'ait rien vu, ou moi, qui n'ai rien dit ? Très franchement, les deux sont hilarants. Lui aussi est drôle, un vrai humoriste ! Il a bien fait rire toute sa bande de copains, il a rendu drôle un viol, un brisement intérieur d'un être humain.
Je revois mon cauchemar étape par étape. Lui qui me dragouille, m'invite au cinéma, au café du coin.
Moi qui suis aveugle, qui laisse passer la main baladeuse qui se pose furtivement sur les fesses, qui effleure par "accident" ma poitrine, qui attrape ma hanche pour me serrer contre lui.
Ça a continué ainsi jusqu'à que cela devienne flagrant, plus qu'évident. Pendant une de nos soirées cinéma, tandis que l'on était plongés dans le noir, de nouveau, sa main se place sur ma cuisse. Mais elle ne reste pas en place, comme habituellement. Elle s'est infiltrée sous mes vêtements, a caressé mon ventre, puis de plus en plus bas... Jusqu'à que je me lève soudainement de mon siège, le rouge aux joues, choquée.
Je lui ai murmuré "non..." avant de partir en courant. Je sais qu'il m'a entendu, puisque j'ai eu le temps de voir ses sourcils se froncer de mécontentement. Le lendemain, au lycée, j'ai tout fait pour l'éviter, tête baissée, fuyant dès qu'il entre dans mon champ de vision. J'ai continué comme ça jusqu'au weekend, où je m'étais crue en sécurité. Ça me fait bien rire amèrement, maintenant. Quelle stupidité, naïveté.
Il m'a coincé dans un coin un peu délabré et abandonné du skate Park. Vous allez me dire, mais qu'est-ce que tu es allée faire là-bas ? Et bien justement, ironie du sort, j'avais voulu me cacher d'un gars qui avait l'air bizarre... Pour tomber sur lui. Mes souvenirs sont assez flous et il manque certains morceaux. Un peu comme un disque rayé que l'on aurait visionné trop de fois.
Il se colle à moi, sans que je ne puisse faire le moindre mouvement, tétanisée. Il m'attrape les joues et les tire comme on ferait à un enfant un peu dodu, en me souriant. Noir. Sa main gauche tire sur mes cheveux tandis que de l'autre, elle est sur le creux de mes hanches. Il force la barrière de mes lèvres pour m'embrasser. Sa main droite me caresse le dos, en petits cercles concentriques qui descendent de plus en plus bas... Noir. Je suis couchée sur le sol, je me débats.
Il tire mon pantalon, il me l'enlève. Et un bout de mon âme avec. De nouveau, je n'ai plus de souvenir, je ne reprends connaissance que lorsque je sens une douleur fulgurante me transpercer de part en part. C'est précisément à ce moment que j'ai explosé en un million de morceaux irréparables, qu'on ne pourrait plus jamais réassocier. Ils y allaient tous, sans scrupules, chacun leur tour, deux par deux. Des passants étaient près de nous, je n'avais qu'à crier, mais je ne pouvais produire le moindre son.
Même lorsque j'ai réuni toutes mes forces, mes cris étaient aussitôt bloqués par la douleur de leur vas et viens impitoyables, des présences en moi autant dégoûtantes que destructrices. Après qu'ils soient partis en ayant bien pris le soin de me toucher, caresser de partout tel un animal, je n'ai même pas pu me lever.
Et à l'heure d'aujourd'hui encore, je suis en fauteuil roulant. Je tiens à le dire, je ne me suicide pas. Je suis morte depuis bien longtemps déjà. La seule différence, c'est que cette mort là est douloureuse, elle torture, on a l'impression d'être enfermé dans une boucle temporelle.
Alors oui, j'ai beau rouler et me propulser contre les rochers, en bas, ce n'est pas un suicide. C'est un meurtre, commis il y a longtemps. La résonance des répercussions à juste mis du temps à parvenir, voilà tout.
2020-10-21 13:47:15
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