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Les œufs au plat qui cuisent dans la poêle m'hypnotisent. Une fois réveillé, j'ai décidé de préparer le petit déjeuner à l'avance, en proie à une faim et une énergie débordante. J'ai des dizaines d'idées dans ma tête et je ne sais plus comment faire pour les trier. Skate, exercices, demain je dois...pourquoi ne pas écrire un bouquin ? Les oeufs sont...mais non... L'escalade aussi c'est bien... Je n'arrive même plus a me concentrer sur la cuisson des œufs tellement mes pensées se bousculent, s'emmêlent et se chevauchent sans arrêt, jusqu'à disparaître au bout de quelques secondes pour en former d'autres. Mes mains tremblent, comme si un besoin vital d'écrire m'envahissait. Une fois les œufs cuits, je fais bouillir de l'eau pour le thé, pour un petit déjeuner anglais presque parfait. Je fais craquer mes doigts un à un, essayant de diminuer mon hyperactivité. Malo, mon chien, se frotte à moi et gémit tout en agitant sa file de manière incontrôlable. Je souris et moi baisse pour le caresser. Mais dans ma précipitation, je me cogne contre la porte du placard, faisant tomber un verre au passage. Malo, apeuré, pousse un petit cri et se cache derrière le mini bar. Je me frotte le pendentif avant que je balaye les petits bouts de verres. Une fois tout ramassé, j'invite Malo à venir. Il se précipite sur moi, et essai de moi lécher le visage. C'est un beagle tricolore qui doit avoir environ 2 ans. Ma mère et moi trouvé trouvé sur le bord d'une route, affamé et vente alors que nous faisions une balade à vélo. Il s'étaient mis à nous suivre et ma mère n'a pas pu résister. Cela fait maintenant presque un an qu'il vit avec nous et je crois bien que je me suis attaché à lui.
- Adil ?!
Je lève brusquement la tête et Malo m'imite, la langue pendante. Ma mère est devant la porte de la pièce, encore en chemise de nuit, inquiète. Sa nuit n'a pas été facile.
- Qu'est-ce que tu fais à cette heure là, par terre ? Demande-t-elle.
- Hé bien... je me suis dis que j'pouvais cuisiner, alors j'ai cuisiné, je répond soudain nerveux. J'ai fais des oeufs, mais j'ai pas compris comment les faire ... Puis j'ai fais du thé, l'verre est tombé, Malo... Eh bien Malo... T'as pas vu la fourchette noire ? 'Pis j'me suis dis que j'voulais faire du skate hein... Ah, je crois que j'me suis fait une bosse.
Elle s'avance vers moi, précipitemment. L'atmosphère est bizarre. De quoi suis-je en train de parler ?!
- Les oeufs, Malo, la bosse, j'enchaîne vivement sans comprendre ce que je dis, le thé et ensuite...
- Doucement, doucement Adil, me rassure-t-elle en me prenant par les épaules. On va finir ce petit déjeuner ensemble d'accord.
J'hoche la tête mais quelques secondes plus tard, je ne me souviens plus de ce qu'elle m'a dit. Mes mains tremblent encore et mon cerveau semble prêt à exploser de pensées incompréhensibles. Je secoue la tête, pour remettre mon esprit en place.
- Hein ?
- Adil, concentre toi sur ma voix, s'il te plaît. Comme on a dit.
Sa voix. Je fixe sa bouche, puis ses yeux mais mes pensées se bousculent au point que ma vue se trouble. Puis je me souviens avoir oublié quelque chose. Encore ?!
- J'les ai pas pris...
- J'en étais sûre, assure-t-elle désormais plus calme. Bouge pas j'arrive.
Et, ne sachant plus quoi faire, je me laisse glisser par terre, la tête contre le placard. Malo se glisse dans mes bras et pose son museau humide sur mon épaule. Je ris nerveusement, dépourvu de contrôle sur mes gestes, mes pensées, ma voix. Alors je ferme les yeux et moi concentre sur ma respiration. Trop tard...
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La tête sur son épaule, j'observe mon autre moi d'un autre temps. Ma mère me caresse la nuque, un geste qu'elle a toujours gardé même après nos épreuves difficiles. Sa poitrine se soulève et son odeur m'apaise. Pourtant, un poids m'opresse la poitrine sans que je n'arrive à comprendre d'où il vient.
- Celle là c'était quand tu venais d'avoir 5 ans, me montre-t-elle en riant. Regarde comme tu t'habillais !
Je ris doucement avec elle et touche du bout des doigts la photo comme pour m'aider à me remémorer ce souvenir. Quand j'avais cet âge...
- Je ne me souviens pas, maman, j'assure mélancolique tout d'un coup. Dr Lee dit que c'est un phénomène habituel mais... j'aimerais tellement me souvenir de tout ça. C'est comme si toute ma mémoire s'était effacée et a emporté tous mes souvenirs, bons et mauvais.
Sa main se retire de ma nuque et elle referme le livre. Puis elle me regarde avec son visage un peu fatigué. Ma vue se trouble. Mes pensées se bousculent dans ma tête, ne acceptent plus assez de place pour mes sentiments.
- Je sais, Adil. Lâche-t-elle au bout d'un moment. Tout ce qu'on a vécu a été effroyable pour nous deux, mais encore plus pour toi. Tu n'es même pas encore arrivé à l'âge adulte que tu as surmonté les épreuves et d'autre n'avait surmonté. Désormais, une fois que tout est terminé, vient le moment des souvenirs et des cauchemars. Je sais, Adil. Je sais que même maintenant tu souffres, mais vois ça comme une force, pas comme une faiblesse. Je t'aime.
Je soupire, ouvrant et fermant mes poings machinalement. Malo s'assoie en face de moi et m'observe avec ses grands yeux ronds.
- Je sais que je suis fort et que tu m'aimes, j'avoue en évitant son regard, mais est-ce assez ?
- Comment ça ? Murmure ma mère, maintenant tendue.
Je me lève brusquement. Elle ne me retient pas. Elle sait qu'il y a des moments où les mots ne font qu'aggraver la situation. Je passe la main dans mes cheveux courts. Le poids dans ma poitrine, près de mon coeur, n'a pas disparu.
- Je vais me remettre au skate, j'annonce en souriant.
Elle pose l'objet sur la table basse et semble rayonner à cette idée. Puis elle me tapote doucement sur l'épaule et sors de ma chambre. Je reste un moment là, planté au milieu de la pièce, ayant oublié ce que je voulais faire à l'instant. Puis, je prends mon sac et fourre mes maniques à l'intérieur, au dessus de mes cahiers. Malo glapit doucement pour attirer mon attention. Puis il s'empare de la laisse sur mon bureau et la pose à mes pieds, guettant ma réaction.
- Tu veux venir avec moi? Je lui demande en prenant la laisse.
Pour toute réponse, mon chien sautille sur place en ajitant la file d'attente rapidement. Je souris. Un compagnon ne me fera que du bien.
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