L'âme aura beau être indépendante du corps,
Elle restera fébrile et sensible
Elle reflétera toute notre vraie personnalité
La mienne s'est perdue dans la mort
9 heures 50, Cineburgh :
J'avançais dans les longs couloirs silencieux et vides, sans aucune âme qui vive. Mieux encore, j'étais seule. J'étais perdue, et pourtant j'avais cette sensation de me retrouver petit à petit.
J'allais n'importe où, je découvrais un nouvel endroit de toutes pièces, c'était relaxant. Ça sentait une odeur de vieux objets, la poussière volant dans l'air, avant d'aller je ne sais où.
J'étais bête de penser que je rencontrerai des gens normaux. Des talents... En quoi étaient-ils utiles, si nous étions morts ? Toute ma vie, j'osais croire aux idées reçues de mes parents, de mon entourage qu'aucune vie n'existait après la mort. On m'a apprit à aller droit au but, à exceller dans tous les domaines. Il faut croire que je n'aies été qu'une perte de temps pour eux.
Avec mes doigts je grattais anxieusement ma main, sans y faire attention. Le long du couloir était rouge, et je regardai au loin, le bout du couloir enveloppé par l'obscurité. Sur une vieille commode en bois se battant sur trois pieds dont le quatrième était cassé en deux, je vis un journal posé là, des fleurs fanées, couleur rouille, je les trouvais jolies. Inconsciemment, je tendis ma main vers elles, au moindre contact, trop fragiles elle tombèrent en poussière, et s'envolèrent.
Je compris.
« Ce n'est pas de la poussière, mais des fleurs fanées qui s'éparpillent. »
Prenant le journal avec confiance, mes yeux dévalèrent les lignes qui portaient mon nom.
« Ils ont retrouvé mon corps ? »
Stupéfaite, je lisais l'article. Morte, d'empoisonnement, un poison qui se serait très bien dissimulé dans la nourriture ou la boisson. Moi cherchais constamment la cause de ma mort, j'avais alors ma réponse.
Je ressentais aucun sentiment. Pas de tristesse, pas de joie, juste, de l'indifférence, je souriais, les commentaires de plusieurs avis de différentes personnes, mes rivaux, mes voisins, ou encore des inconnus.
« Elle aurait pu enfanter avant de mourir, c'est tellement égoïste. »
Le forgeron, Maxwell. Réputé pour les fers de cheval, ses soudages, façonnages, traitements, je me rappelais vaguement qu'il fabriquait des pièces mécaniques qui étaient ensuite utilisées pour les machines.
« Elle a rendu service à notre société en quelque sorte. En mourant, nos purs talentueux continueront de façonner cette ville. »
Une de mes voisines dont je ne me rappelais le nom. Elle avait le chic, de mettre son nez partout où j'allais, dans ce que je faisais, et de sonner à des heures tardives chez moi afin de prendre le thé.
Je les méprisais. Ils ne savaient rien, rien de ce que je vivais et ressentais.
« J'ai tout sacrifié. »
D'une rage folle les larmes me coulèrent de mes joues, furieuse d'une telle ingratitude. Je foutais en l'air violemment le journal mes yeux virent une silhouette apparaître devant moi.
Je regrettai mon geste quand celui-ci se prit le journal dans la figure, essayant de récupérer le journal à la volée.
« Je n'ai pas souvenir d'avoir criée, ou cassée quelqu'un chose. »
Ma colère se dissipa d'un coup sec.
— Atkins, je suis désolée, dis-je mal-à-l'aise. Je ne savais pas que vous étiez ici.
Je me collai contre la commode, Atkins s'approchait de moi, sans rien dire. Pas de sourire, pas de geste amical. Mon instinct de survie, calcula des issues afin de prendre la fuite, nous étions seuls, je l'avais provoqué hier soir, et maintenant, j'allais le payer.
— Je suis désolée !
Des bras m'entourèrent, et me serrèrent, pensant que c'était menaçant j'étouffai un cri de désespoir, me plaquant contre son torse dur. Il me serrait de plus en plus fort, m'étouffant presque. Il allait me faire du mal, j'en étais sûre, je n'aurais pas dû partir de table sans m'assurer de ne pas être suivie.
Je le repoussai, encore et encore, essayant de respirer. Une voix inspirant, expirant difficilement parvint à mes oreilles, stridente, mourante, inhumaine. Je l'écoutai à contrecœur, n'arrivant plus à respirer, je ne savais pas quoi faire d'autre, Atkins n'agissait pas à mes coups de poings dans ses hanches, ni mes débattements.
Il siffla. Difficilement, mais il siffla. La même mélodie que j'aie entendue à maintes reprises. Nous étions à Cineburgh, impossible qu'il soit avec des clients. Je ne voyais rien autour de nous, mais je sentis l'atmosphère changer peu à peu que ses sifflements m'hypnotisaient, ma tête lourde, mes paupières se baissant légèrement, je voulais me débattre, les laisser ouverts, mais rien n'y faisait. Mes efforts, une fois de plus, ne servaient à rien.
Les minutes passèrent, et enfin je sentis la prise se relâcher, juste pour me retrouver dans la rue, Atkins reprenant son attitude. Il me souriait, et me baisa les mains avec galanterie et tendresse, que j'eus du mal à accepter. Il fit une révérence, et me donna des secondes pour que je puisse regarder où nous étions.
J'étais de retour à Dynarburgh.
Je pensais retrouver cette ambiance maussade quand j'aie quittée mon chez-moi peu après la visite de Atkins, or, le brouhaha des passants et la musique festive, les enfants jouant et courant au chat perché, des ladies bavassaient sur les dernières nouvelles, pendant que leurs maris parlaient entre hommes.
Tout était revenu à la normal.
— Regardez la ville que vous avez aidée, me dit Atkins en regardant les personnes que je regardai plus tôt. Ils pensent qu'ils sont au-delà de toutes les lois. Vous savez, quand ils meurent ils se raccrochent à la vie, même si leurs ongles finissent par s'arracher. Ils signent le contrat. Je décide de les sauver ou non. Toutes ces âmes perdues la plupart, Dionysia, viennent du fait qu'elles ne pouvaient pas être sauvées.
Silencieuse, j'observai le sourire d'Atkins lentement s'effacer, néanmoins il ne le perdit pas. Ne savant pas quoi répondre, j'ai seulement posée la première question qui m'est venue en tête.
— Comment saviez-vous qu'elles sont destinées à être déchues ou non ?
— Quand vous décidez de signer avec moi, (sa voix devint grave et résonnante) il ne m'est pas ensuite difficile de savoir si oui ou non seriez fait pour Cineburgh. Je dois ramener des talents perdus, malheureusement beaucoup ne voit pas la vraie valeur de son talent, et perdent humanité.
« Comme vous. »
Je compris. Lentement mais sûrement. Atkins ne voyait pas de son vivant la véritable valeur au moment de son vivant. La valeur humaine, celle qui nous permet de penser, d'aider et d'accroître nos connaissances. À Dynarburgh, en plus de ne pas croire en la vie après la mort, on en croyait pas non plus aux sentiments. C'était une perte de temps. Je ne me sentais pas proche de mes parents que moi j'étais proche d'eux.
Perfection, loyauté et insensibilité, des qualités dîtes importantes pour réussir dans la vie.
Il ria, mais je n'avais pas le cœur à rire, un enfant trébuchant et pleurant, son père lui tapant sur les doigts.
« Qu'est-ce qui lui fait rire, comme ça... ? »
— Voir des gens pleurer est si drôle ? demandai-je sans émotion, j'étais épuisée de le voir rire à tout va quand une situation n'était tout sauf drôle.
Je soupirai, confuse lorsqu'il me fit signe de regarder l'enfant et le père. Il ne pleurait plus, mais pas parce que la douleur était passée, je trouvais ça normal que le père lui dise que ce n'était pas une bonne manière de pleurer pour une chose si futile, et que c'était être faible.
Atkins regardait sans rien dire, se délectant d'une spectacle naturellement banal pour moi.
— Oh, Dionysia... vous me décevez. Cet enfant ne me fait pas rire, au point de vous le pointer du doigt. Je vous apprends une leçon de vie, celle que vos parents auraient dû vous l'apprendre. La vie ne se limite pas au travail, à la perfection, à développer une ville, dont la mentalité de la société reste coincée dans l'âge du passé...
Il sourit, me regarda et gloussa malicieusement :
— De plus, ce n'est pas beau de mentir. Certes, demander l'âge d'une jeune femme est grossier venant d'un bon gentleman que je suis. Mais votre âme elle, ne peut pas, Dionysia.
— Atkins, de quoi parlez-vous ? en rien je ne vous aies menti l'autre soir, dis-je sur la défensive, me refermant. J'ai bien vingt-ans.
— Soit vous êtes sûres et vous ne savez même pas votre date réelle de naissance, soit vous mentez très bien, ria Atkins en secouant son index sous mes yeux. Vous avez dix-huit ans, vos parents n'étant plus de ce Monde, ils vous ont refourgué votre vieille entreprise artisanale, malheureusement vous n'aviez pas eue le temps de progresser ou de finaliser votre formation, ni de vous expertiser dans les armes à feu. Votre père, sans vous indigner ma chère, vous a insulté alors qu'il n'était pas même capable de dire qu'il a réussi dans votre éducation.
S'il essayait de m'énerver, ou de me blesser indirectement en s'attaquant à mon père, il avait réussi. Atkins se trompait sur mon âge, les journaux, les annonces de pub, dans les livres, j'étais la triste et célèbre ratée Dionysia. Celle qui s'était suicidée en signant un contrat avec un inconnu squelettique sans pupilles, celle qui avait tout essayé pour rendre ses armes meilleures, et passionnément.
« Il n'a aucun droit de me juger. Je suis meilleure, meilleure que quiconque ici n'aurait eu le courage de servir à bien cette ville. »