On dit que ceux qui sont heureux ne ressentent pas le poids des ans sur leurs âmes.
L'idéal de la beauté ne s'arrête pas qu'au physique, elle se perçoit dans l'âme.
3 heures, Cineburgh :
Sterling ne me manquait pas dans son champ de vision, à toujours me jeter des coups d'œil tranchants j'en finissais plusieurs fois intimidée et essayais de l'ignorer, en vain, il ne voulait pas que ça se laisse sans savoir.
« Il n'a pas dû apprécier la menace dissimulée dans le sourire d'Atkins. Il doit chercher à comprendre pourquoi il a fait ça, en essayant de le deviner sur mon visage. »
Pourtant ni lui, ni moi, avions établi une quelconque relation amicale. Gooding rangeait sa gnôle alors que nous rentrions dans une salle de théâtre, exactement la même que tout à l'heure, mais cette fois-ci, c'était un grand vide. Plus aucune âme qui vive, plus de musique... juste le silence.
Je pu voir l'orgue de plus près, avec fascination, le piano d'Elmira fièrement nettoyé et sans rayure, comme neuf, éblouie, j'en oubliais la raison de notre venue ici. De faibles lumières éclairaient la pièce, mais assez pour voir les loges privilégiées et prendre conscience de la beauté et la grandeur de cet endroit. C'était vieux, mais très bien conservé, des rideaux rouges et flamboyants, longs d'un rouge pur, et doux.
Atkins me sourit, abaissant son haut-de-forme cachant plus ses yeux verts. Il n'avait aucunes pupilles, juste... Des trous béants dégageant une lumière verte pétillante.
« Était-il vraiment humain ? Pourquoi les autres ne sont-ils pas comme lui ? »
Je penchais ma tête, essayant en vain de revoir son visage, ou du moins une partie. Atkins le remarqua et ria :
— C'est impoli de dévisager les gens.
— Pourquoi vous êtes un espèce... D'homme squelette sans sens ?
Atkins fit un geste théâtral, imitant une douleur dans sa poitrine.
— Je n'ai peut-être pas l'air d'apparence, mais j'ai un cœur comparé à vous, rit-il. Je suis spécial, voilà tout.
Fronçant les sourcils d'insatisfaction et de confusion, Gooding passa à côté de moi, et répondit à sa place.
— Il était une âme déchue avant de rencontrer Hellwing, c'était pas beau à voir, il a été sauvé de justesse. Les âmes déchues perdent toute conscience et pureté de leurs âmes, ils sont beaucoup trop dangereux, au moindre contact ils te refilent toutes les émotions négatives et pourries que tu ne peux même pas imaginer.
Gooding avait du mépris et de la colère. Elmira souffla tristement :
— Petite femme, tu comprends mieux quand je te dis que tu es morte trop tôt ?
J'entendis des pas étrangers, venant de l'orgue, une silhouette noire, effrayante et... putride avançait et descendait vers nous.
Je reculais vers Atkins, le regardant la peur distincte très claire dans mes yeux. Je pouvais le voir sourire, mais pas un sourire habituel que mes yeux fréquentaient souvent.
Il était content.
Alors que la chose continuait sa marche lente et désastreuse, je vis ses vêtements, on sentait l'odeur de vieux livres poussiéreux, de cadavres et j'éternuais essayant de me faire discrète. Des bruits s'entrechoquant, et ça m'attirait vers la ceinture. Des masques, tous pleins, différents, on aurait dit une marotte, un chapeau grotesque avec des grelots, un châle, et des gants. Ses vêtements au-delà du fait qu'ils ressemblaient à un bouffon, étaient d'un rouge putride, de chair décomposée, foncée. La seule chose que je pouvais voir de découvert, c'était ses avant-bras, d'une peau... nécrosée.
Je ne vis pas son visage, un masque blanc comme neige, et des lèvres partiellement recouvertes de rouge à lèvres, le couvrait. J'avais les larmes aux yeux, je n'avais jamais vu le vrai sens de la mort sous mes yeux.
Soudain, elle s'arrêta. Elle posa sa grande lampe qu'elle traînait avec elle dans sa main, et me regarda.
— Atkins, heureuse de te revoir, malheureuse de voir une nouvelle âme perdue, dit-elle.
Bizarrement, sa voix ne se sonnait pas comme son apparence la montrait, elle était... claire, et douce. Secouant ma tête, j'étais un peu honteuse quand je vis que personne ne réagissait comme moi. La mort n'était-elle pas censée arrêter le cours du temps ? faire en sorte que nous ne vieillissons plus ?
Elmira m'attrapa par les épaules, réconfortante, mais ses paroles me pinçaient de culpabilité :
— Excuse-là, elle ne te connaît pas encore.
Hellwing toucha ma joue, pauvre petite chose que j'étais. Je crus entendre un rire très discret, mais net. De l'encre noir de chine, coulait des yeux de son masque, on aurait dit qu'elle pleurait. Instinctivement, je tendais ma main pour l'essuyer, et mon gants fut un peu sali par la tâche. Frottant pour qu'elle puisse disparaître, ma tâche ne fit que s'étendre, mais sur le moment, j'en pris conscience qu'à peine.
Sterling poussa un soupir, ennuyé :
— Hellwing, Dynarburgh est en pleine crise, un de nos talents a disparu. La fille que tu vois, c'est de sa faute.
Il me pointa du doigt, incrédule, je cherchais des réponses dans son regard. Mais son masque m'en dissuada de chercher plus loin.
— Sterling, ferme-là, dit Gooding sèchement. Elle est morte parce qu'elle n'en avait aucun.
Hellwing les fit taire alors qu'ils recommençaient à se disputer, je ne savais pas quoi penser de tout ça, j'étais... entre le sentiment de peur, de gêne, mais aussi de colère. Qui avait le droit de me dire quoi faire ? de me remettre en question constamment, de me dire si c'est bien ou non ?
— Dionysia, pourquoi as-tu voulu mourir si jeune ? tu sais que tu ne pourras pas revenir chez toi, ou revoir tes êtres chers... alors comment as-tu pu prendre la situation aussi normale et convenante ? demanda Hellwing, gentiment.
J'haussais les épaules.
« Je voulais partir. »
— Je ne sais pas.
Hellwing me laissa continuer.
« Je n'avais aucun talent, aucun but concret dans ma vie. »
— Je voulais découvrir autre chose.
« Je n'avais plus personne, personne ne voulait me voir, me parler, m'accepter. Je n'étais pas comme eux. »
J'ai commencé à me sentir faible, vulnérable, le silence m'encombrait et les regards m'écrasaient.
« Qu'est-ce que vous feriez, si on vous dit que vous n'êtes bonne à rien, qu'avec seule qualité votre beauté extérieure ? »
— Je ne sais pas, répétais-je, fébrile.
« On m'a empêché de faire ce que j'aimais le plus, on m'a dit que ce serait une perte de temps pour notre famille. On m'a toujours obligée à faire ce que je ne voulais pas, pour avoir leur reconnaissance. »
— Je ne sais pas... pleurai-je.
Je m'écroule, puérile de ma part, de me dire que mourir serait une meilleure issue.
Mon père regrettait de m'avoir éduquée, ma vie ne rythmait qu'aux soirées solitaires, et aux journées envenimées par le poison des paroles d'individus, me jugeant.
« Je ne me sentais ni chez moi, ni moi-même. »
« Je n'ai jamais osé dire les choses en face, faire les choses que je voulais. Et me voilà, dans une société, qui m'écarte, qui me traite d'incapable et de risée. »
Ma mère...
Dynarburgh, n'était pas parfaite, pourrie par les règles, et la conformité sociétale.
L'Histoire se répétait, mais tout n'était que bulle spéculative, car si, par malheur un des piliers sombraient, il fallait des années pour que la ville puisse trouver un autre talent qui puisse remplacer le dernier... mais...
« Je fus la dernière de la famille de l'armurerie royale, à avoir vu le jour, je n'ai aucun descendant. »
Atkins essaya de me relever, le sourire s'affaiblissant. Me sentant trop lourde, mes forces m'avaient abandonnées.
J'avais ce sentiment de tout laisser tomber. Une fois de plus.
Je n'étais pas connue par ma famille, mais par mon incapacité constante à ne pas réussir à procurer d'armes à la cour royale. Elles perdaient en qualité, comme en munitions, et en capacité de tir, en tout. Mes armes ne valaient rien.
C'était grave, car j'étais la seule censée pouvoir approvisionner la ville, pour n'importe quelle utilisation, que sais-je.
Je ne valais... absolument rien.
J'ai raté ma vie.