L'apparence ne fait pas tout, elle ne redonne pas de la beauté à l'âme,

On dit que ce n'est pas la chair qui est réelle, mais l'âme. 

Pourtant, je suis perdue sans elle, me sentant incomplète, je regarde le corps, et lui dis : « J'aurais dû te donner une nouvelle chance de pouvoir t'en sortir. »

15 heures 56, Cineburgh :

Hellwing passa une main sur son masque de bébé, je me contentais simplement de l'observer. Instinctivement, je regardais si le mien était toujours là, j'ai pris conscience que dans les deux cas je ne le remarquais plus. Tout le monde en portait comme pour se cacher de quelque chose, bien que Atkins m'avait dit que Hellwing avait bien une préférence strict vestimentaire. J'entendis ces masques accrochés à sa ceinture, angoissants. Certains souriaient, d'autres chagriné, tous étaient différents. Je me demandais pourquoi elle en avait besoin d'autant de masques.

Soudain, je restai sans voix, alors qu'elle retirait son masque. Une peau claire, propre et saine, comparé à ses habits et son masque qui faisaient pouilleux. Hellwing était si belle, je n'en croyais pas, si jeune, ne touchant certainement pas la trentaine. Et ce qui s'ensuivit m'étonnais encore plus, sa capuche s'abaissa, et de grandes oreilles tordues par la forme de la capuche se redressèrent fièrement, bien qu'elles étaient encore un peu avachi. Ses yeux, pétillants et d'une lueur pure, mais tout aussi doux, d'une couleur rouge clair, comme ceux d'un chat.

« Elle n'est pas humaine... Comme Atkins... Est-ce que ça signifie quelque chose ? »

— Qu'est-ce que vous êtes...? Ma voix fébrile avait trouver le courage de prononcer une phrase.

Hellwing rit, un rire très coquet. Ses longs cheveux noirs lisses recouvraient ses épaules fines.

— Si je te le dis tu ne me croirais pas, dit-elle un doigt sur la bouche en signe de silence, souriante.

— Avec tout ce que je viens de voir et d'entendre, je pense que je suis prête à croire à tout.

Elle me fit signe de la suivre, et après être sorties de la chambre de Sterling, nous longeons les couloirs silencieux, en fait, pas autant que ça ; la musique d'Elmira entendue la veille, se fit entendre. Elle devait être en spectacle, d'où le signe de silence fait plus tôt de Hellwing.

Après avoir marché quelques minutes, nous arrivâmes à la grande Salle, où toutes les places étaient occupées par des spectateurs venus écouter la sonate du piano.

— C'est difficile de comprendre, je te l'avoue, me dit Hellwing, écoutant. Je ne pouvais pas comprendre la langue humaine avant de venir ici. J'étais qu'un caracal. Pas que je n'étais pas assez intelligente, loin de là. Mon maître me parlait plus que n'importe quel autre que ses congénères. Je n'ai pas de talent, comme toi. Pas qui soit mobilisateur. Peut-être que j'avais un désir au fond de moi, le désir de moi-même changer la mentalité, mon âme se sentait plus humaine qu'animal...  J'ai réussi, trop tard.

« Comment a-t-elle pu devenir à moitié humaine alors ? Si ce n'était qu'un félin. »

— Comment... Vous... Tout ça ? Ris-je gênée, mes questions se chamboulant dans ma tête.

Ses longues oreilles se secouèrent, formant un rond.

« C'est mignon. »

— Oh arrête, je vais rougir, plaisanta Hellwing, et elle remit son masque et sa capuche. Lui redonnant un air effrayant et dégoûtant. Parfois l'âme peut être plus surprenante, et nous surprendre aussi agréablement. Il me fallait quelqu'un, qui m'aide à comprendre, à donner une seconde chance, une conscience morale, un choix d'arbitre, une liberté de pensée, Dionysia. Que seule toi, de ton époque a réussi à acquérir.

« Mais je suis morte. »

— Les masques servent à cacher ton âme. Vois-tu, tu auras beau te faire jolie, soigner ton apparence, la beauté de l'âme tu ne pourras rien y faire. Ceux qui sont laids, aiment ce qui est beau, et n'auront pas de scrupule à te voler ton âme.

« Donc à te faire disparaître. Faire attention. Compris. »

Je soupirai, je n'avais pas l'impression d'être en sécurité quelque part. Mais je connaissais la réponse, néanmoins. Atkins apparu derrière moi, me posant une main sur l'épaule ce qui me surpris légèrement.

— Dionysia, quel plaisir de vous revoir.

Il prit mes mains et les embrassa, même délicatesse, rien de différent. Je ne savais pas pourquoi, mais j'étais contente de le revoir, malgré mes peurs lorsqu'il n'était plus lui. Hellwing ne refusa pas de se faire embrasser les mains, celle-ci lui laissant de la place afin de mieux voir Elmira. Je venais de me rendre compte que nous étions au même endroit lors de mon arrivée et de ma première discussion avec Gooding.

« Est-ce qu'il va bien ? »

Je l'ignorais.

— Atkins... Je suis désolée pour ce qui s'est passé à Dynarburgh, je ne voulais pas vous mettre dans cet état. Je suppose que c'est difficile de rejeter toutes les âmes déchues, alors ne pas en redevenir une...

Il me coupa gentiment la parole, me rassurant avec son sourire que j'avais habitude de voir.

— C'est à moi de m'excuser. Une belle et gentille jeune femme comme vous ne devrait pas vivre tout ça.

Hellwing me regarda attentivement, le masque de bébé me mettant toujours autant mal à l'aise. Cependant je ne fléchis pas.

— Crois-tu en la résurrection, Dionysia ?

« Parce qu'on peut ressusciter ? »

Les deux se moquèrent de moi, de bon cœur. Me sentant bête, je me grattai l'arrière de la tête, ne disant plus rien. Elmira finissait son spectacle, le brouhaha des spectateurs endiablés applaudissant sans s'arrêter, à certains moments la tonalité était plus forte, le public se levant et sifflant.

— La musique d'Elmira, en dehors de son charme, peut apaiser les âmes déchues et leur redonner une once d'humanité. Pas longtemps, mais assez pour nous préparer jusqu'au soir. Une faille dans la sécurité ? Sans doute, haussa les épaules Hellwing en s'approchant de moi, me bousculant avec amusement, pas très fort.

— On ne peut pas être parfait, dis-je machinalement. C'était une phrase bateau à dire sans savoir quoi dire d'autre de plus développé. Hellwing... La résurrection, pourquoi ?

Celle-ci soupira, réfléchissant. Atkins applaudissait mais je n'en portais pas une attention particulière.

— Avant de mourir, mon maître s'engageait fortement dans la magie noire. Il espérait acquérir l'immortalité, et j'y ai crus sans avoir une raison distincte. Je n'avais pas le don de la parole, mais ma présence lui suffisait pour le motiver.

— De la magie ? À Dynarburgh ? J'étais estomaquée.

— Non, le maître de Hellwing vivait à Tineburgh, c'est une autre ville voisine à quelques heures seulement de Dynarburgh. Cineburgh est leur juste milieu. Elle est aussi très importante économiquement parlant. Mais là-bas nous parlons de don, un talent depuis la naissance. C'est très différent. Et difficile si on veut être intégré.

Je songeai au fait que jamais je n'avais mis les pieds en dehors de Dynarburgh. C'était donc compliqué pour moi d'imaginer une ville remplie de gens possédant des pouvoirs magiques, qui plus est était de la magie noire.

— On s'inquiète énormément pour la surpopulation des âmes déchues, m'avoua Hellwing embêtée. Tineburgh est une ville peu compréhensive et ne coopère pas forcément quand il s'agit de travailler plus en profondeur sur le problème, afin que nous trouvions des solutions. Sterling est doué quand il s'agit d'éloquence, il arrive à convaincre et faire marcher la bonne entente entre nous et eux. Là-bas les morts font qu'un avec les vivants. Mais les âmes déchues ne sont pas pour autant inoffensives.

« Pourquoi me dire tout ça alors que je ne connais rien ? »

J'écoutais attentivement, seulement je ne pouvais m'empêcher de bloquer sur ce détail qui me tracassait beaucoup. Ce n'était pas comme si je pouvais y faire quelque chose, ou apporter une quelconque réponse qui puisse aider à apaiser son esprit. Atkins me vit perdue, et il me sourit chaleureusement.

— Ce qu'essaye de dire Hellwing, ma chère Dionysia, c'est que vous partirez avec Sterling et Gooding pour le prochain conseil.

— Des âmes pures comme la tienne, cela faisait très longtemps. Tu es comme moi, on se ressemble. Dionysia, j'espère que tu comprendras.

« J'étais destinée à mourir ? »

Pourquoi penser ça ?

« Elle parle comme si elle avait une confidence à faire, elle n'a pas tout dit. Il faut demander où est mon corps... »

— J'ai... Hier soir... Après avoir mangé ce que Sterling m'avait donné, j'ai été comme... Effacée et en face de moi-même. Elle m'a dit que mon corps a été retrouvé. Je n'ai pas eu le temps de lui parler plus, malheureusement. 

Hellwing ne disait rien, et regardait Atkins, celui-ci tout aussi silencieux. Je soupirai, un peu d'impatience mais aussi de confusion. Pourquoi tout le monde mettait du temps à me répondre ? Et surtout, pourquoi il ne me disait pas entièrement les choses ? 

—  Ton corps... n'a pas été enterré, dit-elle regrettablement. 

Ma mine blanche, mon cœur brûlant et douloureux, je regardai mes mains. Il ne restait donc plus rien de moi ? 

Je fixai Elmira sourire de sa prestation, jouant un dernier morceau pour son public sans visage. Brûlée... 

— Dionysia, n'aies pas peur.

— Ne pas avoir peur ? ceux et celles qui n'ont de cérémonie d'enterrement digne de la tradition Dynarburgh sont indignes d'avoir vécus. Je suis... furieuse, et tellement blessée. Je devrais être, reconnaissante ? dis-je avec ironie et stupeur dans ma voix, j'aurais voulu faire mieux pour cacher mon mal-être, cependant je ne réussis pas. 

— Vous n'avez pas fini de la rendre folle ? râla Gooding. Nous allons bientôt partir et j'ai pas envie qu'elle ramène encore ces merdes déchues. Sterling nous attend, nous partons maintenant, Hellwing. 

Ce dernier arrivait du couloir du hall d'entrée. Il fallait passer par le couloir, principal, si je m'en souvenais bien. Atkins ria, et Hellwing secoua la tête, se mettant une main sur son front, je pensais qu'elle allait une fois de plus retirer son masque. 

Mais non. 

Elle avait une migraine.