Chapitre 1 : La signature
Chapitre 2 : Atkins
Chapitre 3 : Dynarburgh
Chapitre 4 : Cineburgh
Chapitre 5 : Gooding
Chapitre 6 : Elmira
Chapitre 7 : Sterling
Chapitre 8 : Hellwing
Chapitre 9 : Les âmes de Cineburgh
Chapitre 10 : Mémoires et Confidences
Chapitre 11 : Réflexion
Chapitre 12 : La faillite
Chapitre 13 : Le talent de Sterling
Chapitre 14 : Prise de conscience et purification
Chapitre 15 : L'âme de Dionysia
Chapitre 16 : Tineburgh
Chapitre 17 : Wyndham
Chapitre 5 : Gooding

L'âme est la conscience.

Mais ça ne fait pas d'elle l'inconscient, celle qui est dessous de tout, qu'on ne peut ni voir, ni contrôler.

Des gestes manquants, des rêves perturbants.

Que nous reste-t-il, quand on est mort ?

00 heures 01, Cineburgh :

Ne prêtant pas plus attention à la musicienne, je vis un grand et majestueux orgue trôner sur la scène, on pouvait y accéder en montant par d'autres escaliers, sur le côté. Regardant la foule, ils portaient tous un masque, tous divers, ressemblant à des corbeaux, des personnalités allant au bal masqué, moitié recouvert, ou alors entièrement, qu'importe, ils avaient un style différent, et je ne pouvais m'empêcher d'être qu'admirative. Gooding me rattrapa, bien qu'il ne m'ait pas couru après, puis, regarda avec moi.

— Celle qui joue est une membre de notre troupe, expliqua-t-il en chuchotant, assez pour que j'entende correctement, tous deux ne quittant pas des yeux la pianiste. Elle s'appelle Elmira.

— Si je suis morte, alors vous l'êtes aussi ?

— Bien sûr, dit-il comme si c'était une évidence, nous mourrons tous un jour.

— Alors... Atkins vous a fait signer un contrat à vous aussi ?

Gooding me regarda, mon coin d'œil le remarqua, et intriguée par cette attention particulière, fronçait les sourcils derrière mon masque, tournant mon regard sur lui.

— Non, moi je suis mort pendant une période de guerre, je n'étais qu'un messager. Nous venons tous de Dynarburgh. Mais pas forcément de la même époque. Je suis mort en 1749.

Je faillis de m'étouffer, ravalant ma salive qui s'était entravée dans ma gorge. J'essayai de contenir mes toux, et respirais. Gooding ne réagit pas, trouvant cela ordinaire de voir ma réaction, apparemment je n'étais pas la seule.

— Êtes-vous au courant que nous sommes en 1821 ? Demandai-je stupéfaite.

Il haussa les épaules, indifférent :

— Je n'étais qu'un messager, Dynarburgh n'avait pas encore tout... ça. Cette ville avait un mal fou à entretenir une relation stable avec les autres villes voisines. Puis après, j'ai eu un accident mortel, qui m'a coûté la vie. Finalement, je me trouve plutôt bien mieux ici.

— Il ne fallait pas continuer le rôle de messager, dis-je sans le penser.

Gooding me fixa :

— Il ne fallait pas naître, si c'est pour se donner la mort.

« Aïe. Il gagne un point. »

Mais contrairement à moi, lui, le pensait.

— Je ne le pensais pas, m'excusai-je. De quoi êtes-vous mort ?

Gooding soupira, faisant mine de réfléchir à une réponse, qui n'était d'autre que de me dire la vérité, ou alors, rien. Un mensonge que j'aurais tout de même gobé, et une vérité dont je croirais naïvement les faits, sans savoir si elle serait fausse, ou vraie.

Il pose une main sur mon épaule, et secoua la tête.

— J'étais en route pour une livraison importante. Un cheval m'a piétiné.

— Vous mentez ?

Il haussa l'épaule droite. Il ne donnait pas l'impression de mentir, même si son visage était caché derrière ce casque en fer marron usé, et ses verres hermétiques. Souriante, je me contentai de cette réponse, et repris à écouter la dénommée Elmira. Elle portait une longue robe noire jusqu'à ses pieds, et un masque de mascarade de bal masqué, accompagnée d'une plume verte. Je pouvais percevoir sa longue chevelure noire, lui tomber jusqu'en bas du dos. Vue d'ici, elle était jeune.

Gooding a dû remarquer qu'elle m'intriguait énormément. Il me chuchota à l'oreille :

— 1808. Dynarburgh, elle donnait son dernier spectacle, mais elle a fait une erreur, et un des spectateurs s'est moqué d'elle. Elmira n'a pas pu supporter plus quand tout le reste a choisi de le suivre. Elle est morte d'un syndrome, qu'on appelle le cœur brisé.

Le public applaudit lorsque la prestation fut terminée. Gooding applaudissait lui aussi, ne disant pas plus.

Elmira se leva de son tabouret, pour aller se présenter et faire une révérence auprès de son public, qui siffla ou encore cria .

« Moi aussi, j'aimerais qu'on me regarde, et qu'on voit ma vraie valeur. Je veux montrer à autrui qui je suis... Je porte aussi un talent unique. »

« Mais lequel ? »

Serrant les poings doucement, de frustration ma tête baissa. Je sentis le regard pesant sur moi de Gooding, mais n'entendit rien de ce qu'il me disait, si c'était le cas néanmoins.

La réalité me rattrapa, et Gooding m'interpella une fois de plus et plus fort.

— Hé ! Elle a terminé, je te propose d'aller la rejoindre, dit-il en partant.

Je le rejoignis, ne pouvant m'empêcher de repenser à ce que je ressentais. Dynarburgh n'était pas une ville qui s'est développée du jour au lendemain... La société dans laquelle on vit exigeait des talents particuliers, dès notre plus jeune âge, nous sommes confrontés à l'éducation et la réussite sans échec. Nous n'avons pas le choix, même si on nous en donne un, dès notre éducation commencée, pas de qu'on veut faire plus tard, mais que de "tu deviendras ça plus tard". De génération en génération, la société veut que vous soyez comme ci, comme ça, et non pas autrement.

On marchait dans les longs couloirs ternes et silencieux, Gooding ne faisait aucun bruit contrairement à moi, il avait une telle facilité de discrétion et ses bruits de pas s'écrasaient dans le tapis rouge, complètement étouffés.

Gooding s'arrêta, un bruissement de clés s'entrechoquant m'incitèrent à regarder un trousseau, que Gooding balaya chaque fois que ce n'était pas sa clé voulue.

Il finit par la trouver, et ouvrit la porte, un cliquetis retentit. Ne sachant pas pourquoi, j'étais soulagée que ça s'ouvrait.

— Après vous, et surtout, ne touchez à rien, dit-il en me maintenant la porte en bois cirée.

Je passai sans manquer de faire un hochement de remerciement poli. Mes yeux s'écarquillèrent à la vue de la décoration que j'allumai les lumières ; il y avait de tout, des capes, des costumes, et des masques tous similaires mais avec un style et une couleur différents. La tapisserie était rouge, contrairement au rose foncé.

Je haletais en voyant des machines à écrire, des papiers traînant un peu partout sur une table.

J'ai compris que c'était une loge d'artiste.

— Elmira ? Demandai-je en pointant du doigt l'objet.

Gooding secoua la tête, et referma la porte derrière lui. Il avait une telle manière de tout faire, qu'il en était élégant à sa façon. Doucement, il se dirigea vers les lits superposés, des draps soyeux, je voulais sauter dedans et plonger dans un sommeil profond même si la fatigue était un des besoins primaires.

— Ici, c'est ma loge, et la tienne à partir de maintenant. Hellwing m'a prévenu de ton arrivée précipitée et Atkins m'a clairement fait comprendre de bien t'accueillir. Alors fais comme chez toi. Nullement besoin de me vouvoyer, Dionysia.

J'étais choquée. Je regardai si Gooding n'était pas en train de s'amuser de moi, mais j'ai compris depuis notre rencontre que ça ne servait à rien de déceler chez lui le mensonge, car il ne mentait pas. M'approchant de Gooding, je mis mal-à-l'aise celui-ci, qui reculait et m'esquivait si vite qu'on aurait dit un chat fougueux ne voulant pas qu'on le caresse, étonnée, je souris en le suivant du regard. En fait, je ne voulais pas le toucher, ou quelque chose d'autre de similaire, mais simplement toucher les draps.

— Vous n'aimez pas être touché ? Dis-je sincèrement curieuse.

Gooding passa ses mains derrière son dos, se redressant :

— Premièrement, non, je ne supporte pas l'affection physique, deuxièmement tu fais peur avec ce masque, et troisièmement, on ne se connait pas.

Je fis un rire qui offensa Gooding, consciente de cet acte, je m'excuse maladroitement et lui expliquai :

— Je voulais juste voir ces draps, leur matière m'intrigue beaucoup. Ce sont des plumes que je sens à l'intérieur ?

Gooding se détendit, et se rapprocha pour la manipuler à son tour.

— Exact. Il me semble que c'est devenu très rare dans ton époque, d'après ce que Atkins m'a dit.

« Disons que je n'ai pas revu d'oiseau naturel depuis mes cinq ans. »

— Je suis en haut, dit-il soudainement alors que je m'asseyais sur le lit d'en bas.

Ce moment de silence dont je me suis habituée revint, et je scrutai la pièce, des affiches décorant le mur, des parchemins, ou alors des posters, si je ne me trompais pas, c'était des avant-premières d'un spectacle appartenant à ce théâtre. Elmira était en premier plan, son piano dessiné, ainsi qu'une sonate, ne comprenant rien à l'écriture mi fa et sol, je décidai simplement de contempler la beauté de l'affiche, comme une enfant ne comprenant rien à une peinture contemporaine, ni le sens, ni la signification du message caché derrière.

Tout le reste, n'était que masques aux expressions différentes, (joie, peur, colère, tristesse,...), des parchemins, accrochés aux murs, mais aussi des plumes gothiques anciennes. Vu le soin apporté à la décoration, Gooding avait un excellent goût de style intérieur.

_ Tu écris ? Demandai-je en pointant la machine à écrire.

_ Il arrive qu'on se serve encore de moi comme d'un messager, alors j'écris les lettres qu'on me demande, et je vais les livrer, dit-il indifférent à mon ton enthousiaste. Rien d'extraordinaire.

« Homme serviable en plus. »

— Et vous y aller à cheval ? Ce n'est pas traumatisant pour vous ?

Il souffla, agacé.

— Dionysia. Tutoies-moi. Pour ta réponse, non, je n'y vais pas à cheval.

J'aurais bien répondu en véhicule, mais les voitures à vapeur n'existaient pas encore à son époque. Nous étions en pleine révolution industrielle, bien qu'elle ait commencé en 1800. M'apprêtant à demander par quel moyen il livrait ses lettres, Gooding me coupa la parole en s'avançant au milieu de la pièce. Elle était grande, malgré les cartons d'affaires, les piles de paperasse, Gooding pu avoir la place qu'il désirait.

— En volant.

Mon rire étouffé se fit brusquement surpasser par un bruit violent dans les airs, comme une épée pourfendant le vent, des cliquetis et des bruits de pièces mécaniques s'entrechoquant, s'étirant au-dessus de sa tête.

Pour la première fois, il y avait autre chose que de l'indifférence et du je-m'en-foutisme chez Gooding, qui tenait son faux-col avec ses deux mains. De grandes ailes couleur cuivre se dressaient fièrement derrière lui.

J'étais sans voix.

« Mieux vaut ne pas être à côté de lui quand il les déploie... »

— Je ne suis pas du genre terre-à-terre, dit-il.

Je ne bougeais plus.

« Est-ce qu'il vient de faire un jeu de mot ? »

Riant, je me suis dis que ce n'était pas si mal finalement de mourir. Gooding était un sacré personnage.

© CyberKy ,
книга «Demonic Bond - L'âme de Dionysia».
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