Une journée à Londres
Contre-la-montre
Le blanc n'est pas une couleur
Deux fleurs
Chute
La Demoiselle
Un oubli
Un sommeil lourd
Le monde de l'hiver
Gravure
Papa est méchant
La ville endormie
Ma chère fille
À toi que j'aime
La torture
Humiliation
La délivrance
Terrorisée
La Révolution
La beauté de l'aube
Doux réveil
Gravure
« Ma mère ne voulait pas que je sois triste. Aussi me laissa-t-elle une lettre avant d'être embarquée par Dieu pour un monde meilleur, dans lequel elle cesserait de souffrir de sa maigreur et de son jeûne.
  Je me souviens parfaitement de ce jour. Mon souvenir est celui d'une aube brumeuse et glacée, comme chaque moment de mon enfance. Trois coups sourds firent trembler la maison, et la porte s'ouvrit sur deux silhouettes aux épaules carrées et au corps volontaire à un entraînement musculaire de toute une vie. Ma mère priait à mes côtés, au milieu du salon, et n'ouvrit pas les yeux pour comprendre qui étaient ces hommes et ce qu'ils venaient faire ici. Elle se contenta de se lever et d'accepter son sort, car elle avait une foi aveugle en l'entité lumineuse qui nous guidait vers une autre vie après la mort.
   En effet, ma mère croyait de toute son âme en Dieu ; elle savait cependant reconnaître l'injustice. Ma famille faisait partie de la minorité pauvre du monde, dans laquelle seul le Tout-Puissant pouvait apporter de la lumière. Avec le temps et l'expérience, j'ai vite compris qu'il s'agissait de la face cachée de la réalité, et que les familles heureuses et croyantes vivaient dans le mensonge, l'une des vertus de Satan.
  Je découvris plusieurs années plus tard une lettre qu'elle avait écrit. Dessus, elle m'expliquait que tout le monde irait en enfer, et qu'elle souhaitait que j'aille également la rejoindre. Elle me demandait de ne pas questionner son décès ; voir mon visage larmoyant serait, selon elle, le pire des supplices. Sous sa fine couche de peau privée de nourriture depuis trop longtemps avait naquit un coeur d'or, plus précieux que tous les trésors,voire plus que Dieu. Je me faisais un devoir de mourir un jour.

« Hélas! La vengeance, un péché, me dévora l'esprit lorsque je découvris les mille supplices réservés aux sacrifiés de Dieu. J'appris, entre drogue et coupures, que ma mère fut dépecée pour laver ses péchés. Quels péchés ? Elle fut la plus dévouée à Dieu que je savais, bien que mes connaissances sociales se comptent sur les doigts d'une main déformée. La nouvelle me rendit ivre de rage, et fit disparaître en moi chaque promesse que j'ai pu faire à ma défunte mère ou à moi-même. Même aujourd'hui, je ne regrette rien.
  La société dans laquelle les familles heureuses vivent est construite sur l'illusion et sur une utopie. Chaque matin est chaud et ensoleillé pour eux, alors que pour ceux qui subissent chaque part négative, il n'y a que du froid et de la brume. Et de la solitude, de la neige, de la fumée et des arbres bien taillés. Ah, Dieu est fort pour tailler, briser et faire saigner, mais pour soigner et recoudre, personne ne vient. Il disparaît immédiatement. Aussi rapidement que la voix d'un prêtre après avoir été nommé comme tel.

« Ah! Les prêtres! De simples couards derrière un masque! Celui qui est incapable de montrer ce qu'il ressent n'est pas humain. Ils ont abandonné leur race, tout comme ils m'ont fait délaisser la mienne. Nul ne savait quel visage s'exprimait derrière ce masque souriant silencieux. Et que celui qui prétend le contraire aille au bûcher, car il aura péché.
  Cette peine était réservée aux infidèles ayant commis l'irréparable. Ces exécutions se réalisaient souvent en public, car il s'agissait de véritables coupables. Les innocents véritablement sacrifiés à Dieu étaient des oubliés, ignorés par la société trop parfaite. Leur pitoyable dépouille git dans une même cave, formant une pile malodorante de restes humains. Que pouvait en faire le Seigneur ?

« La réponse était simple, gravée dans mon esprit d'ancienne enfant qui n'a jamais connu l'innocence : Dieu mangeait les humains. Et ces derniers n'avaient pas le choix, car ils n'étaient que de simple marionnettes à ses yeux, des créations qu'il pouvait détruire à tous moments. Il s'ennuyait, seul dans son Sanctuaire, alors il est descendu violer des femmes, tuer des innocents et prendre pour pitance leur restes. Il n'a jamais eu aucune empathie. Pourquoi créer un monde s'il faut y semer la misère ? Le bonheur n'est-il pas dans la simplicité de l'égalité, de la liberté, de la fraternité ?
  Je conçois que Dieu est unique, Celui qui ordonne, Celui qui décide. Lorsqu'on désire une chose, c'est à Lui qu'il faut demander ; à voir si Il vous exaucera. Ma mère a passé sa vie, une cinquantaine d'années à joindre ses mains maigres sous la Sainte Lumière de Dieu mais n'a obtenu qu'une enfant destinée à être un obstacle pour toutes ses croyances. Elle aurait dû en avoir trois, selon les prêtres, mais sa faiblesse physique n'a fait naquir qu'une incapable.

« Et aujourd'hui, à l'heure où je grave ces mots avec les seuls symboles qui m'ont été donnés d'écrire et d'entendre, je ressemble à ma mère. Je suis maigre, brune aux yeux comme la glace, et je cache des cicatrices sous un vêtement large en haut, et sous des bandages en bas. Je ressenble aussi à mon père. Je suis désespérée et dépendante aux substances qui tuent le cerveau petit à petit. Mon père était alcoolique, il buvait chaque soir un alcool fort supposé être le sang de Dieu.
  Je suis toxicomane et certainement anorexique, ou en tous cas très maigre, et quand je regrette le pacte que j'ai fait pour ne jamais mourir, je m'enfuis dans mon petit monde gelé. Je n'aime pas les grands espaces chauds. C'est synonyme de mensonge, de l'utopie de Dieu, infinie et sans issue.
   Allons, il est temps de finir ce texte gravé et certainement plein de fautes, car je n'ai jamais vraiment appris à écrire. Je signerais avec la phrase du Livre Sacré répétée sans arrêt lors des prières et qui a le plus marqué mon esprit :

« Chaque être vivant est à Dieu, vit pour Lui. Seuls les immortels n'appartiennent qu'à eux-mêmes. »
© Élodie ,
книга «Un regard de détresse - Recueil de nouvelles».
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