Une journée à Londres
Contre-la-montre
Le blanc n'est pas une couleur
Deux fleurs
Chute
La Demoiselle
Un oubli
Un sommeil lourd
Le monde de l'hiver
Gravure
Papa est méchant
La ville endormie
Ma chère fille
À toi que j'aime
La torture
Humiliation
La délivrance
Terrorisée
La Révolution
La beauté de l'aube
Doux réveil
Le blanc n'est pas une couleur
L'hôpital n'avait qu'un seul défaut pour la pauvre accidentée : les murs, les lits, le sol et même les gens étaient blancs. Elle haïssait le blanc. Ça ne pouvait pas être considéré comme une couleur, ce n'était rien du tout. Une absence de couleur.
Elle n'aimait pas le blanc.

Elle le voyait comme une feuille vierge. Elle détestait les feuilles vierges. Il n'y avait rien dessus, aucun renseignement, du vide, du vent. Il fallait écrire, dessiner, gribouiller dessus, à tout prix. Elle aimait voir une parcelle d'encre noire, même infime, sur une feuille blanche.
Elle n'aimait pas le blanc.

Elle le voyait comme l'incarnation de la propreté. Dans sa bouche, il s'agissait de la pire des perfidies. Une tâche sur un vêtement blanc la faisait sourire. Un point noir sur une chemise blanche. Une tâche entière sur une chemise blanche. Une chemise noire. Une chemise colorée. Tout sauf du blanc. Elle maudissait chaque publicité pour un produit rendant un vêtement « d'une inouïe blancheur » Tu parles !
Elle n'aimait pas le blanc.

Elle le voyait comme une absence d'expression. La même que celle d'un voleur ou un assassin. Pas de joie, pas de tristesse, pas de colère, pas de peur. Mais il pouvait provoquer chez les gens toutes ces émotions. Certains en avaient peur, d'autres comme elle s'en énervaient, il y a des personnes qui éprouvaient une immense tristesse devant cette immense vide d'émotions et, enfin, des fous pour l'aimer. Qui aimerait une monstruosité pareille, à part un homme à défaillance mentale ? Personne.
Elle n'aimait pas le blanc.

Elle le voyait comme un concentré de lumière. Le même ayant aveuglé son père au volant, le même qui causa son accident. Ils étaient deux dans la voiture. Seule elle avait été hospitalisée. À cause du blanc. Son père allait bien.
La lumière était une source de mauvaises choses. La preuve, les gens croyaient être en sécurité le jour, alors qu'ils ne le sont jamais. La lumière était celle qu'on voyait avant de quitter le monde des vivants. La lumière brûlait les yeux. La lumière du soleil brûlait la peau. La lumière blanche, parfaite, toute immaculée était le reflet sur une lame bien aiguisée.
Elle n'aimait pas le blanc.

Elle voyait comme du racisme. Celui qui oppose depuis déjà plusieurs siècles des hommes égaux. De quel droit les hommes blancs se disaient-ils supérieurs aux hommes de couleur ? Ces derniers étaient adorables. Ils n'avaient rien demandé. Les blancs ont envahi leur vie paisible.
Elle avait honte de sa couleur de peau, la pire, l'immonde. Ce n'était pas une couleur. Le blanc n'est pas une couleur.
Elle n'aimait pas le blanc.

Elle le voyait comme... Comme... Le mot glissait entre ses doigts noircis de saleté. Du moins, c'est ce qu'elle voulait croire, car les infirmières blanches avaient lavé l'accidentée. Blanche. Comme eux.
Une secte ?
Non, ce n'était pas le mot qu'elle cherchait, le mot faisait plus mal, plus peur, provoquait plus d'émotions. Il prenait un malin plaisir à lui échapper.

Un homme entra dans la pièce. Blouse blanche, chaussettes blanches, gants blancs, chaussures blanches, peau blanche, cheveux blancs, barbe blanche, moustache blanche, yeux bleus très clair. Cet homme, qui qu'il soit, était devenu un ennemi en posant son pied dans la chambre. Elle chargea son regard de haine puis fixa cet étranger, le fusillant de ses yeux marrons.

Le médecin se racla la gorge d'un air gêné et commença un flot de parole ressemblant à un discours. Elle ne l'écoutait pas, et voir ces dents blanches alimentait sa rage.

Soudain, il prononça un mot qui se distingua des autres.

Un mot parfait pour décrire cet amas de mauvaises choses qu'était le blanc.

Le blanc, c'était la mort.

Elle n'aimait pas le blanc.
© Élodie ,
книга «Un regard de détresse - Recueil de nouvelles».
Коментарі