Un sommeil sans rêves, peu réparateur et artificiel, venait de s'achever pour elle. Sa capuche couvrait presque tout son visage, ses cheveux emmêlés menaçaient ses yeux. Elle les ouvrit mais ne put le faire qu'à moitié, tant ses paupières avaient accumulé la fatigue et le tabac.

  La porte, supposée être devant elle, paraissait si lointaine. Il lui semblait qu'il fallut tendre le bras pour l'atteindre, cependant lorsqu'elle le fit, sa main attrapa le vide avant de tomber lourdement sur le sol. Elle pesait une tonne, mais personne n'aurait pu le croire, car sa maigreur aurait pu être considérée comme maladive.
  Pourquoi s'était-elle endormie, d'ailleurs ? Elle ne s'en souvenait pas. Il ne lui suffisait pourtant que de serrer le poing, mais son esprit embrumé ne mettait pas cette possibilité en premier, trop occupé à essayer de trouver l'endroit dans lequel elle était. Une pièce sale, grise et très grande. La poussière devait régner en maître sur les lieux, mais l'odeur âcre du tabac et de la drogue couvrait tout au point de rester en fumée et de remplir le quart de la salle en partant du plafond.

  Ses muscles et ses os, mal nourris, tremblèrent à l'effort qu'elle mit pour se redresser, puis pour se lever. Ses jambes supportèrent encore son poids, mais seulement quelques secondes, elle s'écroula immédiatement par terre en position assise et sut avec cette chute qu'elle était dans un coin de la pièce, tout au fond. Ses yeux bleus perçants, très clairs, scrutaient avec envie la vieille étagère en bois qui grinçait dès qu'on la touchait. Qu'est-ce qu'elle y cherchait ? En quoi la poudre blanche dans les sacs transparents pouvait l'aider ?
  Elle eût sa réponse très vite : peut importe ce que c'était, elle en voulait, il lui en fallait, sa survie en dépendait. Des étoiles apparurent devant ses yeux tandis qu'elle se relevait.

  Elle lâcha la seringue qu'elle avait en main, et se rendit compte de sa présence avec le bruit sourd que l'objet fit en rencontrant le sol. D'où venait cet outil ? Pourquoi avait-il été en sa possession ?
  Elle courut d'un coup vers le meuble, s'accrochant de son mieux aux étagères, et attrapa en tremblant une cigarette qu'elle alluma. Une nouvelle odeur de tabac remplit la pièce, et même si ses mains tremblaient, elle était satisfaite : elle n'allait pas mourir.

  Enfin, pour la première fois depuis son réveil, elle se sentit bien et heureuse. Cette pièce avait un lit, une penderie et un bureau, elle était bien nettoyée, une odeur de jasmin l'embaumait du sol au plafond. Quel bonheur. Quelle belle vie. Elle aimait sa vie entière.

  Puis, aussi vite que le plaisir arriva, un souvenir vint, puis un autre. La disparaition de vieilles personnes souriantes, la fumée, l'apparition d'une belle personne, la fumée, la disparition... Des disparitions... Et l'aiguille. L'aiguille, la seringue, l'oubli absolu dans un monde rempli de couleurs trop vives pour exister.

  Elle jeta sa cigarette et l'écrasa avec une force que personne ne pouvait soupçonner d'elle, et s'écroula immédiatement dans le coin du mur, ne pouvant supporter autant d'efforts. Que faire, sinon attendre que les mauvais souvenirs s'envolent pour rejoindre la fumée ?

Elle savait quoi faire.

  Tremblante, elle enfonça l'aiguille d'une nouvelle seringue dans son poignet, créant un millième point sur sa veine. Puis, soupirant, elle laissa ses paupières lui obscurcir le désolant paysage et partir pour un sommeil sans rêves, peu réparateur et artificiel.