− Lorene, tu arrives ?
− Oui encore deux secondes !
Je me passe un dernier coup de brosse dans mes cheveux blonds, vérifie une dernière fois mon allure dans le miroir de la salle de bain et sors dans ma belle robe de soirée bleu ciel.
Morgan a le dos tourné vers le porte-manteau et prend ma veste ainsi que la sienne. Je m’approche alors de lui en faisant claquer les talons de mes chaussures sur le sol et il se retourne peu de temps que je sois à ses côtés.
− Je-euh… Tu es… Waouh !
Morgan me dévisage de la tête aux pieds et je peux presque voir dans son regard de la fierté. Ses joues ont légèrement rosi, sa bouche est entrouverte comme s’il essayait de dire quelque chose mais aucun son ne sort.
− Ce n’est pas trop j’espère ?
− Pas du tout, tu es parfaite ! Tu es… magnifique.
Je sens mon visage virer au cramoisie et je me balance d’un pied sur l’autre gênée. Morgan porte un costume élégant bleu marine. Sa chemise est d’une blancheur impeccable et seul le bouton du haut n’est pas attaché. Je peux y voir la naissance de son torse, et pour l’avoir vu une fois je bave rien qu’en y pensant.
− Tu es prête ?
Je hoche la tête, enfile ma veste qui gâche ma tenue et accepte le bras que me tend Morgan.
Sur le chemin, Morgan me donne quelques conseils sur la soirée à venir. Il m’explique comment je dois me comporter et surtout quoi dire. Il m’a bien fait comprendre, que mon rôle est de faire la belle auprès de lui. J’ai le droit de parler bien sûr, mais en aucun cas donner mon avis. Il m’explique, je cite : « c’est pour éviter toutes confusion avec les propos du mari ». Je l’écoute parler comme j’écouterai un maître d’enseignement, mais au fond de moi je sens mon cœur accélérer et je commence à redouter la soirée à venir. Morgan a bien précisé que si je voulais je n’étais pas obligé de venir, mais je lui avais promis que je le ferai, alors ce n’est pas maintenant que je vais abandonner.
On arrive devant la maison présidentielle et toutes les lumières de la bâtisse sont allumées. La nuit est tombée depuis un moment maintenant, Morgan et moi sommes les derniers à venir et une fois la porte refermée derrière nous plus personne ne pourra venir.
− Tout va bien ? Me demande-t-il sur le perron.
Il pose sa main sur la mienne et je me rends compte que je serrai son bras avec force. Il n’a pas grimacé, mais je peux ressentir son soulagement quand je desserre mon étreinte. Je croise ses yeux et je me sens plus légère, moins stressée. Son visage est prêt du miens que je peux y voir tous les détails.
− Je stress un peu, mais ça va aller.
− Ne t’inquiète pas, je serai là. Je ne te laisserai pas une seconde seule.
La porte d’entrée s’ouvre sur le même major d’homme que la dernière fois. Il porte exactement la même tenue à une exception près : la couleur. Il est bleu, d’un bleu extrêmement foncé mais bleu quand même. Marylin n’a pas lésiné sur la couleur. Après avoir déposé nos vestes, Morgan et moi prenons le long couloir de gauche avant d’arriver devant deux grandes portes fermées. Deux hommes les ouvrent alors et tous les regards se tournent vers nous. Un long silence gênant fait place. J’ai l’impression que ce silence dure une éternité et heureusement que Morgan me tient le bras parce que je crois que j’aurais détallé. Le major d’homme qui nous a ouvert se place devant nous.
− Mesdames et Messieurs, veuillez accueillir Morgan Gatling et sa femme Lorene.
Un tonnerre d’applaudissement résonne dans toutes la maison. Marylin accoure jusqu’à nous et embrasse son fils une bonne dizaine de fois. Puis ses yeux s’illuminent quand elle me voit dans sa robe et elle finit par m’enlacer d’une longue étreinte maternelle.
− Tu es magnifique Lorene.
− Je vous retourne le compliment.
Marylin porte la longue robe bleu nuit et je dois reconnaître qu’elle a la silhouette d’une sirène là-dedans. Ses cheveux longs sont attachés en un chignon sophistiqué et son maquillage font accentuer ses yeux vert émeraude.
Le président se tient juste derrière sa femme et vient nous serrer la main à tous les deux. Sa poigne est nettement moins forte que la dernière fois mais je peux encore sentir ce courant électrique qui m’avait parcouru la dernière fois. Morgan semble bien plus tendu que moi devant son père. Monsieur et Madame Gatling s’éloignent et laissent place à une queue d’invités. Nous n’avons pas fait un pas que déjà tout le monde veut nous saluer.
− Je vous souhaite un excellent anniversaire, monsieur.
− Je vous remercie Andrew et merci d’être venu.
− Tout le plaisir est pour moi.
Andrew, un homme très grand au crane dégarnis, s’éloigne avec à ses côtés une grande femme rousse aux cheveux très court. Elle a les épaules carrées et si elle ne portait pas une longue robe, j’aurais pu croire à un homme de dos.
− Il possède plus de 60 % des terres cultivables de la ville, me chuchote Morgan à l’oreille, et c’est sa femme qui porte la culotte à la maison, si tu vois ce que je veux dire.
Je hoche la tête de compréhension en souriant et nous passons à la personne suivante.
− Monsieur et madame Gatling. Nous sommes ravies d’être parmi vous ce soir. C’est un honneur d’être présent pour votre anniversaire.
Il s’agit cette fois-ci d’un homme bien plus petit, brun aux lunettes rondes sur le nez. Il est accompagné de sa femme également, une femme assez bien portante aux cheveux grisonnant. A ses pieds, un jeune garçon l’air ennuyé d’être présent, une grande tache de naissance vient lui recouvrir le cou sous le col de sa chemise bleu clair.
− Je suis ravie que vous soyez là, monsieur et madame Harold.
Le temps que je retrouve où j’ai bien pu entendre leur nom, la famille s’éloigne jusqu’au buffet.
− Harold comme les poissons ? Je demande.
− Exactement. Ce sont les seuls dans ce domaine. Personne n’a réussi à les concurrencer.
Je baisse la tête pour la seconde fois et nous passons encore à la personne suivante. Il s’agit cette fois-ci d’un soi-disant grand couturier de la ville. Pour être honnête je ne le connais pas, mais il semblait abasourdi devant ma robe. Il nous a presque fait un historique de la dentelle dans le monde et n’a pas hésité à m’amadouer de belles paroles pour que je vienne un jour dans ses ateliers.
Les membres de la famille suivante sont des amis proches du président. Le mari, en l’occurrence, est un ami d’enfance de monsieur Gatling et ne se sont jamais séparés. Comme deux frères, ils sont inséparables et d’après Morgan il jouerait un rôle important dans les décisions de son père.
On continua l’heure à serrer les mains et à entendre les remerciements des gens d’avoir été convié à l’anniversaire. N’ouvrant la bouche qu’une fois sur cinq, je les écoute d’une seule oreille. La salle de balle a été recouverte de tissus bleus pailletés aux fenêtres. Un énorme buffet de la taille du mur sur ma droite est recouvert de coupes d’alcools et d’amuse-bouche en tout genre. Tout au fond sur une scène, un orchestre joue de la musique. Les notes du piano et des violons résonnent dans la pièce donnant ainsi une ambiance encore plus chic de l’évènement. Les portes fenêtres sont ouvertes afin d’aérer et de gros nuages viennent cacher les étoiles.
− Alors ? Demande Morgan en mettant cours avec ses invités.
− Je vais avoir du mal à me familiariser avec toutes ces mondanités.
− Ne t’inquiète pas, même avec 19 ans d’expériences j’ai encore des difficultés.
Morgan et moi arrivons près du buffet et un homme nous tend un plateau avec deux coupes de champagne. J’en prends une et l’avale presque cul sec. Je ne m’étais pas aperçue, mais saluer autant de gens m’a desséchée.
Tout au fond de la salle, je vois arriver une jeune femme à la robe extrêmement moulante. Ses cheveux noirs habituellement coupés au-dessus des épaules ont été allongés par des extensions lui arrivant jusqu’au milieu du dos. Un trait de crayon vient faire le tour de ses yeux rendant ainsi son regard envoûtant. Un rouge à lèvre rouge pétant vient terminer la tenue de la jeune femme. Karine arrive d’un pas presque félin jusqu’à Morgan et je ne peux que ravaler ma salive devant tant de grâce. Elle attrape le bras de son ami qui ne l’avait pas encore vu et vient coller ses lèvres sur sa joue laissant ainsi une grosse trace de rouge à lèvre.
− Morgan ! Joyeux anniversaire !
− Karine, je ne savais pas que tu étais là !
− Que crois-tu mon beau ? Que j’allais oublier ?
Voir Karine se pendre au bras de Morgan me donne envie de vomir. J’essaie de sourire, mais je suis sûr que ça ressemble plus à une grimace qu’autre chose. Karine et Morgan partent dans une conversation que je n’ai même pas envie d’écouter. Je les coupe pour prévenir que je vais faire un tour et avant qu’il ne puisse me demander de rester je tourne les talons pour m’éloigner d’eux. Rester auprès de Karine est un supplice auquel je ne peux résister. Je vois son amour qu’elle porte pour Morgan et ça ne fait qu’accentuer mon dégoût. Au fond de moi j’aimerai que ce ne soit pas réciproque de son côté à lui, mais à chaque fois qu’il la voit ses yeux s’illuminent et il prend un tout autre comportement.
Je passe entre les gens et ne m’arrête qu’une fois que je suis isolée dans un coin. Au fond de la pièce je vois Marylin entourée de cinq hommes de tous âges, et ils semblent absorbés par les paroles de la première dame. Le président discute également avec quelques invités, mais à leurs traits tirés je peux deviner qu’il s’agit de sujet plus sérieux. Tout autour de moi, des groupes bien distinct parlent de tout un tas de sujets qui me dépassent. J’essaie de prêter une oreille attentive, mais à chaque fois je ne comprends pas le quart en raison d’un vocabulaire beaucoup trop spécifique. Mes oreilles s’arrêtent alors sur un groupe de jeunes femmes d’à peu près mon âge. De différentes ethnies, elles discutent une coupe de champagne entre les mains.
− Je ne comprends vraiment pas ce qu’il fait avec elle.
− Entièrement d’accord, qu’est-ce qu’il peut bien lui trouver ?
− Elle n’est pas moche, je trouve.
Je tente de deviner de qui elle parle, mais elles sont bien trop vastes sur le sujet.
− A votre avis, vous croyez que la machine s’est trompée ?
− La machine ne se trompe jamais, Jasmine.
− Je sais, mais qu’est-ce que Morgan fait avec une folle ?
− Baisse d’un ton, elle n’est pas loin.
Mon cœur rate un battement quand je comprends enfin leur sujet. Je savais que j’y aurais droit à ce genre de discussion dans mon dos, mais je ne m’attendais pas à ce que ce soit ce soir, surtout que tout le monde doit te lécher les botes s’ils veulent bien se faire voir.
− D’ailleurs regardez-là toute seule. Personne ne veut d’elle, pas même son mari.
− Dis pas ça, Mathilde, il est avec Karine là. D’ailleurs je les trouve un peu trop proche eux-deux.
− Il peut, t’as vu comment elle est habillée ? Je crois qu’on ne pouvait pas faire plus vulgaire. Sérieux quel homme hésiterai ? Moi je serai elle, j’en profiterai. Morgan est de loin le plus bel homme de la ville, et ce n’est pas avec la folle qu’il va assouvir ses désirs.
− Faut vraiment qu’on te trouve quelqu’un Jeanne, ça devient vraiment gênant là.
Mes mains se serre autour de ma coupe vide et ma respiration devient difficile. Je tente de garder contenance, mais j’ai de plus en plus de mal. Morgan discute toujours avec Karine qui ne le quitte pas des yeux, et le groupe continu ses messe-basses.
− D’ailleurs je ne vous ai pas dit, mais la dernière fois je suis passée devant chez lui j’ai pu entendre une grosse dispute. Je n’ai pas trop compris de quoi il parlait, mais en tout cas c’était violent.
− Sérieux Jasmine ? Ça disait quoi ?
− Je ne sais pas trop j’ai dit. Mais je crois que c’était à propos de médicaments. Je pense que c’est parce qu’elle refusait de les prendre.
− Mais c’est horrible. Imagine elle s’en prend à Morgan et le frappe ? Elle lui touche un cheveu et je peux vous garantir qu’elle le regrettera.
− Mathilde t’abuses pas un peu ?
− Bah quoi ? Il est hors de question qu’elle blesse le futur président !
La coupe de champagne se brise sous mes doigts et finit par s’éclater sur le sol. Grâce à la musique et au brouhaha des discussions, seulement quelques regards se sont tournés vers moi, mais ils sont vite retournés à leurs occupations quand ils ont vu que je ne bougeais pas. Je ne me sens pas bien. Je n’arrive plus à respirer, j’ai la tête qui tourne et la main droite en sang qui démange. Ma vision se trouble par une montée soudaine de larmes et je me dirige avec difficulté vers le jardin. Le vent frais vient me fouetter le visage et les goûtes de pluie se déversent sur moi. Sous le regard de quelques invités je m’enfonce dans l’obscurité et finis par m’arrêter en plein milieu. La pluie s’abat sur moi et cette sensation de fraîcheur me refait vivre. Je lève la tête vers le ciel et me laisse submerger par les goûtes. Ma robe se retrouve rapidement trempé et mes cheveux plaqués contre mon dos. Je finis par m’asseoir sur l’herbe mouillée et je reste là à regarder le ciel. Derrière moi je peux sentir tous les regards et peut même entendre des murmures inaudibles. Je n’arrive pas à définir si je suis en colère ou si je me moque de tout ça. Je me moque de mon état actuel, je me moque de ce qui se passe derrière moi, je me moque de ce qui se dit et pourtant je suis en colère d’avoir cru une seconde que tout irait bien.
− Lorene ?
Je reconnais la voix et je ne fais pas l’effort de me retourner. Il s’approche de moi, enlève sa veste et la dépose sur mes épaules. Morgan s’assied devant moi.
− Qu’est-ce qui ne va pas ?
Je penche la tête sur le côté et prend une grande inspiration.
− Tout.
− Tu veux qu’on rentre ? Demande-t-il en me prenant les mains que je retire aussitôt.
− Non, tu avais l’air de bien t’amuser avec Karine. Ne t’inquiète pas pour moi.
− Retournez à vos occupations ! Cri-t-il à l’attention des invités derrières nous. Je ne te crois pas Lorene, si tu allais bien, tu ne serais pas venu t’asseoir dans le noir sous la pluie.
− Tu savais que les gens s’inquiétaient beaucoup à ton sujet ?
− Et moi de toi, enchaîne-t-il.
− Ils ont peur que je te fasse du mal.
− Ne les écoute pas, je ne les crois pas.
− Tu devrais sûrement, Morgan. Après tout c’est vrai si je ne prends pas mes médicaments, qui sait ce qui se passera ?
− Lorene, est-ce que tu te fais confiance ?
Je hoche les épaules en signe de non réponse.
− Est-ce que tu as confiance en moi ?
J’ai un gros blanc et là aussi je ne sais pas quoi répondre.
− Moi j’ai confiance en toi et je sais que jamais tu ne me feras de mal. Tous les jours j’entends des nouvelles rumeurs à ton sujet, mais tous les jours tu arrives à me prouver le contraire. On dit que tu es violente quand tu t’énerves mais à notre dispute l’autre jour tu ne m’a pas touché. On dit que tu n’as pas d’amis, mais je crois savoir le contraire puisque tu passes tes journées dans le sud de la ville. On dit également que je...
− C’est un peu tiré par les cheveux, je coupe la parole.
− Et pourquoi ça ?
− Je n’en sais rien, mais je trouve ça nul d’avoir confiance en moi juste parce que j’ai contredit des rumeurs.
− C’est peut-être nul pour toi, mais avec moi ça fonctionne. J’ai confiance en toi et je sais que jamais tu ne me décevras.
− Bon d’accord. Mais soyons tous les deux honnêtes : tu aurais quand même voulu avoir quelqu’un d’autre ? Karine par exemple.
− Tu veux qu’on soit honnête ? Alors je vais l’être. Au tout début je ne voulais personne et c’est pour ça que j’ai gâché le questionnaire, mais quand je t’ai vu à la mairie te lever en pensant que c’était fini et que tu allais retourner chez toi, j’ai senti quelque chose d’indescriptible. Tu avais l’air si innocente. Je ne veux être avec personne d’autre que toi. Tant pis si tu me rejette jusqu’à la fin de mes jours, mais jamais je n’irai voir ailleurs.
Les mots de Morgan me vont droit au cœur et je n’arrive pas à savoir quoi dire. Il a collé son front contre le mien et je peux sentir son souffle sur mon visage. Ses lèvres sont si proches des miennes que je n’ai qu’une envie : l’embrasser. Mais je ne suis pas assez courageuse pour me lancer. Une larme finit par glisser le long de ma joue, à moins que ce ne soit une goutte de pluie. Il la retire du bout des doigts avec énormément de délicatesse.
− Tu devrais aller te changer si tu ne veux pas tomber malade.
Morgan me prend la main et il la regarde sous les rayons de la lune. Elle ne saigne plus, mais elle est coupée à plusieurs endroits.
− Et te soigner aussi.
Je me relève sans dire un mot, et sur les pas de Morgan je le suis jusqu’à une porte que je n’avais jamais prise. Les invités ne nous ont pas quitté du regard et nous voir partir sans passer par la salle de balle ne fait qu’augmenter leurs interrogations.
Nous montons les escaliers et nous arrivons directement devant sa chambre. Il m’ouvre la porte et je la retrouve exactement comme nous l’avions laissé le week-end dernier. Morgan part chercher dans une autre pièce une tenue un peu moins classe que ce que je porte et me la donne.
− Tu peux te retourner ? Je demande timidement.
Morgan me rend un sourire tendre et sors de la chambre. Je sais qu’il est sur le pas de la porte, mais je me sens triste de l’avoir fait sortir de sa propre chambre. Je m’habille aussi rapidement que je le peux et le retrouve appuyer contre le mur, perdu dans ses pensées.
− Merci, je réponds.
Nous restons un moment dans le silence, ne sachant si je dois redescendre. Il a l’air contrarié. Ses traits du visage et les muscles de ses bras montrent qu’il pense à plein de choses en même temps. Je voudrais comprendre, je voudrais entrer dans sa tête pour savoir ce qu’il pense mais je n’en ai pas le pouvoir.
− Qu’est-ce que je pourrais faire pour que tu aies confiance en moi ?
Sa voix est calme et pourtant si sèche, c’est surprenant et déboussolant.
− Je n’ai jamais dit que je n’avais pas confiance en toi.
− Mais tu ne m’as pas dit que tu l’étais.
Un point pour lui.
− Tu as confiance en tes amis ?
− Bien sûr ce sont des enfants, ils ne me feront jamais rien.
− Et moi non ?
− Tu es le fils du président.
− Lorene, oublis cinq secondes que je sois le fils du président. Considère-moi comme Morgan uniquement et pas le fils du président.
− Alors je pense que je peux.
− Tu peux, mais le veux-tu ?
Sa question me retourne l’esprit et fait naître en moi l’incompréhension.
− Bien sûr que je veux.
− Alors dis-moi ce qui t’en empêche ?
− Tu veux vraiment le savoir ?
Il hoche la tête et je peux voir dans ses yeux qu’il est déterminé à connaître la réponse.
− Tu es trop beau, trop gentil et trop intelligent ! Qu’est-ce qu’une personne comme toi gagnerai à être gentil avec moi ? Tu fais tout et moi rien ! Tu es parfait et moi je fais tout gâcher. Je ne comprends pas pourquoi… Je ne sais pas pourquoi tu fais tout ça pour moi.
Morgan s’est approché de moi et je ne me suis jamais aussi sentie à l’étroite. Il passe sa main derrière ma nuque et la seconde sur ma joue où il essuie mes larmes. Ses lèvres sont entrouvertes et il s’apprête à dire quelque chose, mais aucun son ne sort. Il se penche dangereusement vers moi et je ne fais rien pour me retirer attendant ce moment avec impatience.
− Monsieur ?
Un major d’homme nous arrête en plein milieu, nos bouches à deux millimètres l’une de l’autre. Morgan se dégage pour m’embrasser le front. Je suis abasourdie par son geste et reste plantée sur mes deux pieds comme une cruche.
− Monsieur, vos invités commencent à s’en aller.
− Dites-leur que j’arrive.
Morgan recule d’un pas et je peux lire dans son regard qu’il est désolé. Il m’effleure une dernière fois la joue et demande au garde de me soigner. Je refuse au début voulant venir avec lui, mais il me fait comprendre que ma main à besoin de soin avant. Le major d’homme me demande de le suivre jusqu’à la salle-de bain la plus proche et il en sort une trousse de toilette. Avec une pince à épilée, il me retire les petits morceaux de verres et il finit par me la bander.
− Je ne voulais pas vous couper, me répond l’homme en rangeant la trousse. C’est le président qui m’a demandé d’aller le chercher au plus vite.
− Ne vous inquiétez pas, il ne se passait rien. On discutait c’est tout.
L’homme porte sur moi un regard insistant et je me sens mal à l’aise dans cette petite pièce.
− Je peux vous demander de me laisser seule un moment ?
Il me répond par un bref oui de la tête et s’en va en prenant soin de refermer la porte derrière lui. Je suis assise sur les toilettes et ma tête entre les mains. Je n’arrive plus à comprendre. Je perds la situation et ne sait plus quoi faire. Morgan semble m’en vouloir de ne pas lui faire confiance et moi je ne sais pas du tout comment faire pour que ça change. Et on parle de mes sentiments ? Je pense à lui tout le temps, à chaque fois qu’il est avec moi mes angoisses disparaissent, et ses lèvres… A deux reprises j’ai voulu qu’il m’embrasse. A deux reprises j’ai voulu y goûter, mais je ne suis qu’une lâche puisque je n’ai pas réussi à faire le premier pas.
Le tic-tac incessant de l’horloge m’indique qu’il faut que je sorte de là si je ne veux pas qu’elle finisse au sol. Les couloirs sont vides, il n’y a plus aucun bruit de bavardage, seuls les notes du piano parviennent jusqu’à mes oreilles. Je me laisse guider par la mélodie et descends jusqu’à la salle de balle vide et en désordre. Le buffet est recouvert de flûtes et de plateaux empilés, le sol laisse apparaître les traces des chaussures des gens et les rideaux volent au grès du vent dehors. Le personnel s’active sous les notes de musiques pour rendre à la salle son état d’origine. Je m’avance jusqu’au piano envoûté par la mélodie et vient m’asseoir sur la place qu’il y a à côté du musicien. Ses doigts volent au-dessus des touches. C’est comme s’il les caressait. Il a des mouvements gracieux et ses gestes sont précis. Cela ne fait que rendre l’instant magique.
− Je ne savais pas que tu jouais du piano.
− Tu ne me l’as jamais demandé.
Deuxième point pour Morgan.
− Tu jouais quoi ?
− Je ne sais pas. Je l’ai toujours entendu, mais jamais je n’ai su le nom.
Morgan se craque les doigts et les refait parcourir sur le clavier. Il me rejoue sa mélodie et je ferme les yeux pour m'imprégner des notes. Je m'imagine libre comme l'air, à courir dans un champ les cheveux aux vents et le soleil sur la peau. Tout au bout une personne m'attend un grand sourire se dessinant sur son visage. Il me tend les bras et je viens m'y loger. Je me sens tout de suite protégée. Je sens sur moi le contact de sa peau qui recouvre la mienne de frissons. Ses gestes sont doux comme s'il craignait que je me brise. Je le serre de toutes mes forces dans mes bras de peur qu'il ne s'échappe. Nos souffles se mélangent et nos cœurs battent à l'unisson. Ses yeux se posent sur moi et je peux y lire tout l'amour du monde. Son simple regard m’électrise et je me perds dans la couleur de ses yeux. Je me noie et plus rien ne peut me faire sortir de là. A cet instant précis je sais ce que je ressens pour lui, j'accepte les sentiments que je porte à son égard et prie le ciel que cela soit réciproque. Il est à moi, il m'appartient comme moi je lui appartiens, il me protège et dit vouloir mon bien et en mon fort intérieur je le crois. Je me sens changée à ses côtés, je me sens vivante. Je me sens libre et je suis prête à tout pour lui. Je suis prête à lui faire confiance et à l'aimer. Mais avant ça il me faut savoir si lui porte les mêmes sentiments que moi. M'aime-t-il ou me voit-il juste comme une amie ? Serait-il vraiment prêt à tout sacrifié pour moi comme il le prétend ? Ou ne suis-je qu'un jeu pour lui ? Et m'a-t-il dit la vérité quand il a annoncé plus tôt qu'il savait que ça accrocherait quand il m'a vue à la mairie ? Je n'en sais rien, je n'ai aucune réponse. Mais je sais, enfin je l'espère que je ne me trompe pas à son sujet.
A la fin de la mélodie je rouvre les paupières et surprends Morgan me regarder du coin de l’œil. Ses yeux me transpercent et je peux deviner qu’il essaie de me décrypter, découvrir ce à quoi je pensais. Je ne réfléchis pas, je passe mes mains derrière sa tête et viens y coller mes lèvres sur les siennes. Ses lèvres sont plus douces que je ne l’avais imaginé. L’espace d’une seconde, il ne bouge pas et j’ai le temps de penser que j’ai fait une énorme erreur, le regret et l’embarras enflent en moi. Mais au moment où je m’apprête à reculer, il emmêle sa main dans mes cheveux et me rapproche encore.
Ce n’est pas un baiser doux, pas hésitant comme j’aurais cru que serait mon premier baiser. Non c’est effréné, c’est brut d’émotions. Je me rapproche encore plus de lui et ma main sur le torse j’agrippe sa chemise. Il respire aussi fort que moi, il lève une main et du doigt viens me caresser la joue jusqu’à descendre dans mon cou. C’est moi qui décide de mettre fin à notre baiser pour reprendre mon souffle.
− Ça faisait longtemps… Ça faisait longtemps que j’avais envie de le faire, me dit Morgan front contre front.
− Moi aussi, je murmure.
Morgan m’embrasse à nouveau, cette fois plus doucement. Il est extrêmement proche de moi, son cœur bat contre ma poitrine, nos doigts sont entremêlés et je peux sentir son souffle sur ma peau. Pour une fois, mon esprit tourmenté se tait. Il n’y a que le personnel qui s’active derrière nous. La senteur de la pluie sur l’herbe au-dehors. Le fantôme d’une brise dans les arbres. Les lèvres de Morgan contre les miennes.
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