Chapitre 1
Chapitre 2
Chapitre 3
Chapitre 4
Chapitre 5
Chapitre 6
Chapitre 7
Chapitre 8
Chapitre 9
Chapitre 10
Chapitre 11
Chapitre 12
Chapitre 13
Chapitre 14
Chapitre 15
Chapitre 16
Chapitre 17
Chapitre 18
Chapitre 19
Chapitre 20
Epilogue
Chapitre 5

Je n'ai jamais été du genre à sommeiller le matin. Je suis née avec un sommeil léger et quoi que l'on me fasse, je n'arriverai jamais à dormir plus de six heures d'affilées. A l’hôpital, je mettais ça sur le compte de la lumière extérieure quand je dormais dehors, des ressors du lit ou tout simplement les cris des autres patients. Mais aujourd'hui je suis allongée sur un lit merveilleusement moelleux dans une chambre où aucun rayon du soleil ne pénètre avec pour unique bruit de fond les frottements de la couverture sur le matelas, et je n'arrive toujours pas à fermer l’œil. Je sais qu'il est le matin à cause du réveil qui annonce 8 heures 15, je pourrais me lever pour aller petit-déjeuner mais je ne voudrais pas risquer de réveiller Morgan qui dort sur le canapé. Alors je suis captive de la chambre.

– Lorene ?

C'est la voix de Morgan à travers la porte, accompagnée d'un petit coup sur le battant. Il y a un dieu ! Il est réveillé, je vais enfin pouvoir sortir !

Je saute du lit et cours ouvrir la porte sur un Morgan torse nu. Je me mets immédiatement à dysfonctionner en restant les yeux fixés sur son torse sculpté comme un dieu. Je ne l'avais pas vu sous ses tee-shirts, mais il a des abdominaux. De beaux abdominaux sculptés par l'effort physique et non la gonflette. Ce qui me rassure le plus c'est que lui aussi semble perdu à me contempler dans ma petite tenue qui me sert de pyjama, c'est-à-dire un simple tee-shirt large qu'il m'a prêté. Je sens le rouge me monter aux joues et immédiatement relève la tête vers lui. Il semble tout aussi mal à l'aise et ne sait plus quoi dire.

– Tu voulais quelque chose ? Je demande pour mettre fin à notre malaise.

– Oui, je voulais te prévenir que j'allais au marché. On a plus à manger c'est pour ça.

– D'accord j'arrive.

– T-tu viens ?

– Pourquoi tu ne veux pas de moi ? Je demande presque offusquée.

Morgan recul surpris et rougit encore plus que tout à l'heure.

– Non pas du tout. Enfin je veux dire que je serai ravi que tu viennes. Je pensais juste que tu voulais dormir encore un peu.

Je fais non de la tête et Morgan s'en va dans la salle de bain en refermant la porte derrière lui.



Morgan m'a appris que le marché se faisait tous les deux jours et que c'était là que s'achetaient les trois-quarts des provisions. Il est vrai que je ne m'étais jamais posée la question sur la provenance des aliments. A l'hôpital, c'était des camions qui nous fournissaient alors que ça vienne de la seule usine en ville ou du marché, peu m'importait tant que j'avais à manger dans l'assiette.

Les mains chargées de sacs, nous avançons entre les étales sans trop savoir quoi chercher. On part du principe que si ça nous plaît et que ça se mange alors on prend. Et finalement, vu que tout nous donne envie entre les beaux légumes frais et les fruits de saison bien mûr, on se retrouve avec bien plus de sachets que ce qu'on aurait pensé.

Le marché est pour moi de loin le meilleur lieu qui puisse exister. Mille et une couleur, des parfums à vous en retourner la tête, les différents tissus à palper, le beau-parler des marchands prêts à tout pour que vous achetiez. S'il n'y avait que moi je prendrais tout ce que je trouve, mais Morgan m'a bien fait comprendre qu'il ne faut pas se laisser avoir par leur belle parole. Le marché c'est comme les sirènes. C'est beau, envoûtant, on a envie de voir de plus prêt et finalement on se fait avoir. Un peu étrange, mais j'adore cet univers. Je m'y plais rien qu'en passant entre les étals.

Mais si je devais y trouver un défaut, juste un seul, c'est que tout le monde y est et que forcément quand tu sors avec le fils du président tout le monde veut l'arrêter pour lui dire bonjour. Autant moi tout le monde m'ignore ou continue de me regarder comme la vulgaire folle sortie de l'asile. Mais Morgan a la véritable réputation d'une célébrité, et sans arrêt nous devons nous arrêter. Je vois bien que ça le dérange énormément, mais que voulez-vous qu’il y fasse ? Il ne peut se permettre de les envoyer se faire voir, il a une réputation à tenir et à conserver, et surtout il est bien trop gentil pour leur dire en face. Je crois justement avoir trouvé son défaut à Morgan : sa gentillesse. Il est beaucoup trop gentil.

En attendant qu’il salut un nouveau couple, je me dirige vers l'étale la plus proche. Des petits pots de confitures sont déposés par centaine sur la table en bois. L'aspect est on ne peut plus mignon et me donne l'eau à la bouche tellement les couleurs sont attrayantes. Je regarde les étiquettes une par une et découvre des fruits dont je ne connaissais pas l'existence.

– Vous voulez goûter ? Me demande la femme derrière la table.

Elle est très grande et la longueur de ses cheveux lui arrivant jusqu'au bas des reins ne font qu'accentuer sa grandeur. La peau caramel, elle a des petits yeux rieurs noirs. Un large sourire s'étire de son visage ravi d'avoir une cliente.

– Vraiment ? Je peux ?

Je souris également ravie de pouvoir goûter à ces petits trésors. Je regarde le premier pot devant moi et le tends à la marchande. D'un geste souple elle ouvre le bocal, prend une cuillère et me la passe. Le goût amer du fruit me retourne les papilles. Acide et tellement fruité, ça sent l'été rien que dans la bouche. Je crois que ce fruit s'appelle pamplemousse.

– Vous aimez ? Me demande-t-elle.

– J'adore, il n'y a pas d'autre mot.

– Surprenant, goûtez-moi ça alors.

Elle prend un autre bocal et me propose une seconde cuillère que je prends volontiers. Celui-ci est beaucoup plus doux que le premier et légèrement granuleux. J'aime bien sa légèreté mais je n'arrive pas à mettre de nom dessus.

– Je peux savoir ce que c'est ?

– Abricot, me répond-elle en me montrant l'étiquette.

– J'aime beaucoup mais je préfère quand même le premier.

– Vraiment ? Demande-t-elle en arquant un sourcil. Vous êtes la première à apprécier ce fruit. Les gens le renient à cause de son amertume.

– C'est justement ça que j'aime chez lui, l'abricot est doux mais trop commun je trouve.

– Alors comme ça on parle de fruits ? Bonjour Jovelita, comment vas-tu ?

Morgan a fini de discuter avec le couple et est venu se poster à mes côtés. Il sert la main de la marchande et sans aucune hésitation s'empare d'un bocal de confiture à la fraise pour y plonger une cuillère. Je suis surprise de son geste et le regarde presque gênée.

– hop hop hop, où sont passées tes bonnes manières ?

– Tu sais très bien que je ne peux pas m'en passer ! Tu es la meilleure dans ce domaine. N'est-ce pas Lorene ?

– Euh... Oui.

Je suis véritablement mal à l'aise. J'ai du mal à comprendre ce qu'il se passe. Comment a-t-il osé faire ça, et surtout pourquoi la laisse-t-il faire ? Je sais que c'est le fils du président, mais ça ne lui donne pas l’autorisation. Il doit être un exemple et non se croire tout permis ! Je suis offusquée.

– Tu ne me présente pas ? Demande Jovelita en me donnant une autre cuillère de confiture.

Ma gourmandise me paiera j'en suis sûr.

– Je te présente Lorene mon amie.

– Et épouse ?

– Principalement amie, corrige-t-il en me souriant.

– Ça va il ne te mène pas la vie dure ?

– Pas du tout, je n'aurais pu rêver mieux, je réponds d'un sourire timide.

– C'est bien mon garçon ça. Toujours aussi gentleman avec les jolies demoiselles.

J'ai un pincement au cœur. Je ne sais véritablement la raison, mais je peux juste dire que mon cœur se sert.

– Vous vous connaissez depuis longtemps ? Je demande en fronçant les sourcils.

Les deux individus se mettent à rire en même temps faisant redoubler mon incompréhension depuis le début.

– Depuis mes couches culottes, répond Morgan.

– Menteur ! Tu avais 5 ans.

– Ce qui ne veut pas dire que je n'avais plus de couches.

– A 5 ans, avoir encore des couches ? Soit tu as de sérieux problèmes de vessie soit la propreté et toi ça fait deux.

– Et alors ?

Il y a une réelle complicité entre les deux que je n'ose pas les interrompre. Ils rigolent, s'envoient des piques, se tapent sur l'épaule. Je crois n'avoir jamais vu pareille amitié entre deux personnes. Le geste de Morgan au début semble ne pas affecter la marchande.

– Ce que monsieur ne te dis pas, c'est qu'il a tenté de me voler un bocal à la fraise quand il avait 5 ans. Il était avec sa mère et sans que personne ne s'en aperçoive il me l'a dérobé. Sa mère l'a obligé à revenir le lendemain pour s'excuser.

Je me mets à rire de cette anecdote ne m'étant pas douté une seconde qu'il ait pu faire ça.

– N'empêche, poursuit Morgan, si je ne l'avais pas volé ce pot de confiture on ne se serait jamais rencontré.

– Du moins pas avant aujourd'hui. Ton amie est venue seule et sans me voler. Et juste pour ça je lui offre ce magnifique pot de pamplemousse.

– Pamplemousse ? S'étonne Morgan.

– Tu n'aimes pas ? Je demande.

– Je crois n'y avoir jamais goûté. Les gens m'ont tellement dissuadé qu'au final je n'ai jamais essayé.

– Ne t'inquiète pas, je suis sûr qu'en faisant tes yeux doux elle acceptera de partager son pot avec toi.

Morgan et moi rougissons de plus belle faisant redoubler les rires de Jovelita.

– Ce n’est pas tout Jo, mais je commence à avoir des crampes dans les bras à porter tout ça. On devrait rentrer, t'es d'accord Lorene ?

– Entièrement. Au revoir, et à une prochaine fois j'espère.

– A une prochaine fois ma belle.

Je sers la main de Jovelita et range le pot dans un sac. Morgan et moi reprenons le chemin de la maison.



Cet après-midi, Morgan a dû partir convoqué par son père. J'aurais très bien pu l'accompagner mais j'ai décliné l'invitation. On ne dirait pas ainsi, mais j'ai toujours du mal à accepter ma place ici. Je fais mine que tout va bien, je me laisse porter par Morgan en acceptant son amitié, mais quand il m'a dit si je voulais rencontrer ses parents – autre que durant la cérémonie, bien évidemment – j'ai pris peur et ai refusé. J'essaie de faire de mon mieux en ne laissant pas paraître que je suis toujours la folle sortie d'un hôpital il y a deux jours. Je fais en sorte de ne jamais prendre mes médicaments quand il est là. Bien qu'ils me calment et empêchent mes excès de colère, je ne me suis quand même pas sentie capable d'affronter la belle famille. Peut-être un autre jour, mais pas aujourd'hui.

Du coup j'ai la maison pour moi toute seule. J'ai rangé les provisions dans les placards, le réfrigérateur et la corbeille à fruits et maintenant que je n'ai véritablement plus rien à faire je me suis installée sur le canapé avec un livre entre les mains. Ma lecture n'est pas fluide du manque de pratique à l'hôpital, mais je parvins à enchaîner les pages une par une. Le livre raconte l'histoire d'un homme vivant dans une société surveillée par des écrans. Il lui est interdit de dire ou de faire quelque chose sans qu'il n'ait peur de ses représailles. Il ne peut vivre une histoire d'amour ou d'amitié sans être suspecté de complot envers son pays. Déjà que je me plaignais de notre façon de vivre, ce livre prouve le contraire et me fait apprécier ma vie.

Commençant a avoir mal aux yeux par toutes ses petites lignes je décide de me lever et faire un tour dans le jardin pour profiter du soleil de la journée. Le ciel est d'un bleu pur, sans aucun nuage pour le gâcher, la pelouse est d'un vert éclatant avec de temps en temps des petites fleurs jaunes pour l'égayer. En face, caché derrière une grande haie, la maison des voisins. Je ne les ai pas encore rencontrés et ne sait rien à leur sujet. Cela fait longtemps qu'ils vivent ici, ou sont-ils aussi jeunes que nous ? Je continue mon petit tour en passant par derrière la chambre avant de m'arrêter par le vacarme que produise ces fameux voisins.

– Tu vas où comme ça ? Demande une voix grave en claquant la porte derrière lui.

– Prendre un peu l'air pourquoi ? Répond une voix plus aiguë.

Là d'où je suis je ne peux qu'entendre ce qui se dit et non voir ce qui se passe.

– Tu n'as pas un repas à préparer ? Demande-t-il d'un ton hargneux.

– Si mais ça mijote là. Je reviens dans cinq minutes.

– Tu pourrais aller nettoyer le plan de travail au lieu de prendre une pause !

Mes yeux s'écarquillent en grand. Mais quel goujat ! Comment ose-t-il lui parler de la sorte ? Je ne les connais pas mais une chose est certaine c'est que je ne supporterai pas qu'on me parle de la sorte. Inconsciemment je suis sortie du jardin pour me planter devant le portail de leur jardin.

– Bonjour ! Dis-je d'une voix forte.

Les deux individus se tournent vers moi surpris. La jeune femme enfonce sa tête dans son tablier rouge de honte tandis que son mari plisse brièvement les yeux. Mais son visage s'éclaire en un quart de seconde et il s'avance vers moi avec un sourire faux sur le visage.

– Bonjour, répond-il.

– Je suis votre nouvelle voisine.

– La femme de Morgan ? Se dépêche de demander l'homme.

– Exactement.

Mon visage est traversé d'un sourire niais, alors qu'en moi je bouillonne d'une envie de le frapper. Par-dessus ces épaules, je peux voir la jeune femme les yeux rouges. Elle tente de me sourire, mais je vois qu'elle va mal.

– Je suis Boris Chagig, et voici ma femme Auréline.

– Moi c'est Lorene.

Boris me sourit encore, cette fois-ci d'un sourire contagieux. Mon opinion sur lui est en pleine remise en question. Il semble si innocent comme ça. Peut-être me suis-je trompée sur son compte ? Peut-être est-ce juste une simple dispute de couple comme il peut en arriver ?

– Bon bah... Je devrais peut-être rentrer, Morgan ne devrait plus tarder.

– N'hésitez pas à passer nous voir, notre porte vous est grande ouverte, dit-il.

Je reste un moment à les regarder s'en aller jusqu'à ce qu'ils disparaissent entièrement avalés par la sombre embrasure de la porte. 

© minhox ,
книга «The Book of 23».
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