Ce soir le ciel est dégagé et laisse apparaître les étoiles sur sa couverture. Des milliers de petites boules blanches de différentes tailles recouvrent le ciel de part et d’autre. La neige craquelle sous nos pieds. Avalée sous une tonne de vêtements je trouve quand même le moyen d’avoir froid alors que Morgan semble bien au chaud. Je m’accroche à son bras en espérant un peu de sa chaleur et nous restons là à regarder le spectacle devant nous.
− On y est… On a réussi !
Une fumée sort de ma bouche et je me colle encore plus à Morgan. Il a les yeux rivés sur la ville et ne me réponds pas. Il semble se remettre en question quant à ce qu’il a devant lui et ce qu’on lui a toujours dit. Tout au long de notre voyage interminable, je me suis imaginée une ville dans les décombres, abandonnée, sans une âme qui vive. Tout le contraire se déroule sous nos yeux. Ses grands bâtiments s’élèvent jusqu’au ciel, le peu d’électricité qui court encore permet d’allumer les pavillons, des voix résonnent, des rires, des gens circulent entre les rues. Paris est en vie.
− Tu te sens encore capable de marcher ? Me demande-t-il.
− Tu oses encore me poser la question après tout ce que nous avons parcouru ?
Morgan m’embrasse le bout du nez et nous avançons dans les rues de Paris. Nous marchons d’un pas lent pour regarder chaque détail, chaque gravure de la ville. L’architecture si particulière de la ville et ses couleurs ternes lui donne un côté vieux mais élégant.
Cinq années sont passés depuis notre fuite. Cinq années où nous avons braver l’impossible, où nous avons fait de merveilleuse rencontre et des moins bonnes. Nous avons découvert que derrière la barrière de la ville, la vie existait belle et bien. Les gens ont tout de suite compris d’où l’on venait par notre attitude désemparer et ils ont tous eu pitié au point de vouloir nous loger et nous nourrir. On a traversé le pays à pied, dormis dehors ou chez l’habitant, s’est fait attaquer par des loups sauvages ce qui a valu une belle cicatrice sur l’avant-bras de Morgan, mais on n’a pas abandonné. On a trouvé des marins qui ont accepté de nous faire traverser l’océan. On est arrivé en France et on a repris notre ascension jusqu’à Paris. Ça n’a vraiment pas été facile aussi bien physiquement que mentalement. Mais on s’est soutenu, encouragé, et ça nous a valu la réussite. On a réussi.
Morgan ne cherche pas à prendre les petites rues, mais continue tout droit. Un silence s’est installé entre nous, mais il n’est pas pesant il est juste magique. Nous avançons jusqu’à la géante de fer. Elle est plongée dans le noir et ça lui donne un air mystérieux. Comment l’homme a-t-il pu créer un tel monument ? En soit, je ne la trouve pas si belle, mais son histoire m’intrigue. J’ai envie de la connaître, de la comprendre.
La neige est retombée de plus belle et je grelotte encore plus. Morgan a passé son bras autour de moi et essaie en vain de me réchauffer. Nous sommes finalement arrivés aux pieds de la Dame, et la tête vers le ciel nous nous laissons emporté par sa grandeur. Nous sommes si petits face à elle. Nous sommes si insignifiants.
− Autrefois il y avait des milliers de touristes qui venaient la visiter par jour, murmure Morgan.
− Et aujourd’hui nous voilà.
Il poursuit sa route et emprunte cette fois-ci les escaliers métalliques. Devant on comprend qu’il y avait des portiques qui autrefois devait permettre aux touristes de passer. Aujourd’hui ce ne sont que des objets abandonnés qui peuvent faire office de décoration tout comme les guichets. Monter ces escaliers à l’avantage de me réchauffer même si je commence sérieusement à fatiguer. Morgan arrive le premier et s’approche de la rambarde. Je le suis quelque seconde après et reste émerveillée par tant de beauté.
La ville s’étend sur des kilomètres. Les lumières des lampadaires brillent et se fondent à l’horizon avec les étoiles. Devant nous Paris et ses monuments, Paris et ses habitants, Paris et son âme. Morgan s’est collé à moi et à la force de ses bras autour de mes épaules je le sens ému. Je contemple son profil, sa mâchoire forte soulignée par une barbe brune. Il n’a plus rien du jeune homme d'Eastglen. Les cinq ans que nous avons mis pour atteindre Paris ont achevé de le transformer en homme, d’affûter son corps. Le trajet a été long et difficile. La nature a conspiré contre nous à de nombreuses reprises et nous avons eu pour compagnons quotidien la faim et les intempéries. Mais ce fut un voyage qui nous a donner le temps de panser nos blessures, d’oublier notre passé, d’accomplir notre destin et de nous pardonner.
Et nous y voici. Paris, la ville de l’amour. On a cru trouver des décombres, on y a trouvé la vie. Comme quoi la Vie peut encore nous surprendre.
Je reste encore un moment à regarder le paysage comme envoûtée. Je n’ai rien vu d’aussi beau, enfin bien sûr mis à part Morgan. La vie semble si simple, les gens semblent si heureux. La famille qui se tient sur notre droite semble aussi subjugué que Morgan et moi. Leur petit garçon semble si joyeux, il a des étoiles pleins les yeux. Je me sens émue de voir cet enfant. Je n’en ai pas parlé à Morgan pour le moment, mais je réfléchis de plus en plus à fonder une famille. Notre famille. Morgan serait un si merveilleux père et moi je serai la mère la plus comblée. Je continue toujours de frissonner et Morgan vient se coller à moi par l’arrière. Ses bras me serrent et il dépose sa tête sur la mienne pour continuer d’observer la ville.
− Alors heureux ? Je demande en grelottant.
Morgan serre son étreinte et ça me suffit juste à comprendre.
− Tu ne sais pas à quel point. Ma femme et Paris réunis au même endroit je ne pouvais rêver mieux.
− Arrête tu vas me faire rougir.
− Vraiment ? Je vais continuer alors.
Je me retourne et lui fais face. Ses yeux rieurs brillent dans le noir, ses fossettes creusent ses joues et le rende irrésistiblement craquant, ses cheveux ont bien poussé même s’il se les ait coupés il y a peu au couteau. Je plonge ma tête dans son cou et vient respirer son odeur. Il sent le bois et la transpiration, étrange je sais mais quand c’est votre homme c’est la plus belle odeur du monde. Il me caresse le dos et vient me déposer de nombreux baiser sur le haut du crâne. Je me sens tellement bien dans ses bras. J’ai l’impression que le temps s’arrête ou d’être dans une autre dimension. Et dire qu’il y a cinq ans je cherchais une raison de vivre...
− On fait quoi maintenant ? Je demande en relevant la tête vers lui.
Morgan ne me détache pas et pose son front contre le mien.
− Tu te rappelles, quand tu m’avais demandé quel était mon rêve ?
− Tu m’avais répondu : « M’enfuir. Tout quitter pour tout recommencer »
− Et toi tu m’avais dit : « Tout recommencer également. Pouvoir refaire ma vie depuis le début, de ma naissance jusqu’à aujourd’hui ».
Le fait qu’ils se souviennent de mes paroles m’émeut. Je sens les larmes monter, mais je refuse de les laisser sortir pour ne pas gâcher ce moment.
− Tu ne peux pas refaire ta vie depuis ta naissance, mais on peut quand même accomplir nos rêves. On peut enfin commencer une nouvelle vie. On est libre ! On est libre de faire ce qu’on veut, libre de vivre, libre de s’aimer, libre de fonder une famille.
Je passe cette fois-ci mes mains derrière sa nuque et m’approche aussi près de son visage que je le peux pour que lui seul m’entende.
− T’ai-je déjà dit à quel point je t’aimais ?
Il fait mine de réfléchir.
− Je ne m’en souviens plus… Peux-tu me le rappeler ?
Il rit et laisse apparaître ses dents blanches. Son sourire s’étire sur tout son visage et je ne peux que fondre devant lui.
− Je t’aime. Je t’aime plus que tout Morgan. Je t’aimais, je t’aime et je t’aimerai jusqu’à mon dernier souffle.
Cette fois-ci je ne préfère pas lier mes lèvres aux siennes mais uniquement l’enlacer. Je fais passer tout mon amour dans mes bras et viens nicher ma tête dans son cou. Il me rend mon étreinte et nous restons là un moment qui me semble une éternité.
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