Je crois que je n’ai jamais passé une aussi bonne nuit. Je ne parle pas uniquement de ce que Morgan et moi avons fait hier soir même si c’était merveilleux, mais plus du fait que j’ai fait le tour du cadran. J’ai dormi comme un loir, le soleil est déjà bien levé et l’horloge m’indique qu’il serait peut-être temps que je me lève.
La place à côté de moi dans le lit est vide et froide me laissant comprendre que Morgan est levé depuis un moment. Je me lève tout sourire, m’habille de son tee-shirt qui traîne au sol, et pars en direction de la cuisine. La maison est plongée dans le silence. Arrivé à la cuisine, seul un bol de lait refroidit par le temps qui est passé et une pomme m’attendent sur la table. A côté un mot de Morgan : Mon père a besoin de moi, je reviens le plus tôt possible. Bisous ma belle. Mon sourire s’efface de ne pas le savoir avec moi aujourd’hui.
Mais je ne me laisse pas abattre. Ce n’est pas la première fois et ne sera pas la dernière, alors je vais trouver de quoi m’occuper jusqu’à ce qu’il revienne.
Je croque dans ma pomme tout en repensant à notre nuit d’hier, à ses baisers sur ma peau, à ses gestes doux et à sa voix grave au creux de mon oreille. Morgan a été l’homme le plus doux que la Terre ait pu porter. J’ai été emportée dans un moment de tendresse et de sensualité que je… je… je n’ai pas de mots pour le décrire. En tout cas ma peau est parcourue de frisson et mon cœur s’emballe tout seul.
− Madame Gatling ? Madame Gatling vous êtes là ?
De l’autre côté de la porte d’entrée une voix dénuée d’émotion me réveil. D’une poigne forte il frappe la porte que je n’ai d’autre choix que de courir ouvrir si je ne veux pas qu’il la casse. Devant moi une dizaine d’hommes trempés de la tête aux pieds, tous habillés de leur costume noir de police. Je n’ai aucune raison d’avoir peur puisque je n’ai rien fait, mais leur venu ne présage rien de bon.
− Je peux vous aider ? Je demande la voix cassée.
− Madame Gatling veuillez-nous suivre.
− Je peux savoir de quoi il s’agit ?
Le policier devant moi se racle la gorge mais il ne dit rien. J’analyse leurs moindres comportements afin de comprendre pourquoi ils sont là, mais je n’ai jamais vu autant de personnes sans émotions. Pareil à des statues de cire, ils ne bougent pas d’un centimètre. C’est seulement quand je perçois un homme balancer une paire de menotte dans sa main que mon cerveau capte. Ils sont venus me chercher. Ils me veulent moi il n’y a pas de doute.
− Peut-on attendre que Morgan arrive ? Il ne devrait pas tarder à arriver.
J’essaie de gagner le plus de temps pour trouver une solution, mais ça n’a pas l’air de fonctionner.
− Désolé, mais c’est impossible. Monsieur Gatling vous interdit de le voir.
− Pardon ? Je demande la voix partie un peu trop dans les aiguë.
Le policier ne me répond pas. Je suis sous le choc. Je suis perdue. Comment ça il refuse que je le voie ? Que se passe-t-il bon sang ?
− Je peux aller m’habiller ? Je demande avec un peu plus de colère que prévu.
Le policier baisse alors les yeux sur ma faible tenue et accepte.
Je cours jusqu’à la chambre. Je m’habille avec les vêtements les plus chauds que je peux avoir et ouvre la porte-fenêtre de la chambre. Je jette un dernier regard derrière moi et sors sous la pluie pieds nus. Je longe le mur de la maison sans faire le moindre bruit, je jette un rapide coup d’œil dans le coin pour m’assurer que personne ne me regarde, je saute par-dessus la barrière du jardin et prends mes jambes à mon cou.
− Attrapez-là ! Ordonne l’un des policiers qui m’a repérée.
Je ne me retourne pas et cours aussi vite que mes jambes me le permettent. Je ne sais pas ce qu’ils me veulent, mais il est hors de question que je me rende. Je cours jusqu’à la maison présidentielle, et arrivée devant la porte d’entrée je frappe comme une acharnée. La porte s’ouvre sur le major-d’homme qui semble très confus de me voir.
− Morgan ! Je veux voir Morgan ! j’ordonne d’une voix sèche.
− Monsieur n’est pas là. Il est parti avec son père ce matin et ne reviendra sans doute pas avant ce soir.
Mon cœur rate un battement et j’entends les policiers arriver d’un pas lourd derrière-moi. Je ne prends pas la peine de remercier l’homme et repars immédiatement. Je traverse les rues, emprunte le plus de petits chemins pour les semer en espérant les ralentir, mais ça ne fait rien. J’ai même l’impression qu’ils accélèrent. Je décide alors de passer par le marché. Je crois que la chance me sourit car il y a du monde et avec les parapluies ouverts, je sens que je vais pouvoir me glisser dans la foule.
J’avance d’un bon pas en essayant de me frayer un chemin. Le souffle saccadé, je m’arrête un instant pour le reprendre. Une main vient alors se poser sur moi, je sursaute et je sors les griffes prête à attaquer.
− Lorene ça va ? Me demande Jovelita habillée d’un manteau à capuche jaune.
− Désolé, il faut que j’y aille.
− Lorene qu’est-ce qui se passe ? Qu’est-ce que tu fais dehors pieds nus ?
J’aimerai moi-même avoir la réponse, mais là je suis dans l’optique de m’enfuir et non de réfléchir au pourquoi du comment.
− Mesdames et messieurs, veuillez-vous dégager du passage !
La voix grave du policier résonne jusqu’au plus profond de mon être. Je repars immédiatement en laissant Jovelita sans réponse.
Mes jambes m’ont mené dans les quartiers pauvres. Je ne m’arrête pas une seconde et continue d’avancer en slalomant entre les maisons en débris. Le souffle coupé, je suis obligée de m’arrêter. Je tourne entre deux maisons et me cache derrière des planches de bois moisies par la pluie. J’essaie de faire le moins de bruit possible pour reprendre ma respiration, mais j’ai l’impression de ressembler à un asthmatique après un marathon. Au moment où j’entends le lourd pas des policiers approcher, j’arrête de respirer et ferme les yeux en priant qu’ils ne me voient pas. Les hommes passent et ne s’arrêtent pas. Je sors de ma cachette et décide de reprendre ma course.
Je passe devant ce qui devait être le marché noir. Je ne sais si c’est la pluie ou la venue des hommes de loi dans le coin, mais il n’y a personne. Je continue et arrive dans un quartier qui m’était inconnu. Je ne m’arrête pas pour me repérer et cours toujours, les jambes en feu. Un bras m’attrape alors et me tire en arrière pour me plaquer contre un mur. J’ai envie de crier mais me ravise quand je vois Enzo et Océane.
− Qu’est-ce que tu fais-là ? Me demande Enzo en fronçant les sourcils.
− Il faut que je retrouve Morgan.
− Ici ? Tu crois vraiment que ton copain à envie de retourner ici ?
− Enzo, gronde Océane.
Je le vois tourner la tête dans la rue avant de revenir vers moi.
− Ils en ont après toi ?
Je fais oui de la tête et sens les larmes me monter aux yeux.
− Qu’est-ce qu’ils te veulent ?
− Je n’en sais rien. Il faut que je voie Morgan.
− Il n’est pas là, grince-t-il des dents encore une fois.
Je me dégage de la prise du jeune homme avec une certaine violence et contre leur avis, je décide de repartir. Océane prend les devants et m’emmène par tout un tas de chemin que je ne connais pas. Nous arrivons tout près du lac, mais au lieu de passer autour il emprunte un sentier qui mène jusqu’à une maison en bois.
− Entre et ne ressors surtout pas avant que je te l’aie dit, compris ? m’ordonne Enzo.
− Je ne vais pas rester enfermé, il faut que…
− Tu retrouves Morgan, on sait, complète Océane. Mais c’est soit ça, soit tu te fais attraper.
Enzo m’ouvre la porte et je m’engouffre dans la maison. Les vitres cassées laissent entrer la lumière et c’est juste suffisant pour voir l’intérieur. De vieilles caisses en bois recouverte de draps blanc reposent un peu partout. Je ne cherche pas à savoir ce que c’est et me colle contre la porte pour réfléchir.
Je ne comprends pas. Rien ne va. Pourquoi me veulent-ils ? Pourquoi Morgan refuse de me voir ? Pourquoi, pourquoi et pourquoi ? Je n’ai rien fait ! Je n’ai rien commis, rien tenté, rien de rien. Et s’ils ne me voulaient pas de mal ? Et si je me faisais un film ? Oh non je ne crois pas, ils ne m’auraient jamais suivi jusqu’ici. Et même si ce n’était rien, ils ne m’auraient pas caché leur venu. Ou alors Morgan a profité de moi, il a obtenu ce qu’il voulait et m’a abandonné comme une vulgaire paire de chaussettes ? Je n’ose pas y croire, il n’est pas comme ça. Non, je sais ! Ils se sont enfin rendu compte que je ne prenais plus mes médicaments et que j’étais un potentiel danger pour Morgan. C’est ça, j’en suis sûr ! Il n’y a pas d’autre choix possible ! Mais ce n’est pas ma faute si je ne les retrouve plus.
Les larmes coulent à flots sur mes deux joues. Je me suis assise, le dos contre la porte et je me tire les cheveux. Derrière moi, j’entends Enzo et Océane parler, mais je perçois également une autre voix beaucoup plus grave avec eux. Je colle alors mon oreille contre la porte et entre deux sanglots essaie de comprendre ce qui se dit.
− Dites-nous où elle est, et nous vous ferons aucun mal.
− Mais je vous dis que nous ne savons rien. On ne sait même pas à quoi elle ressemble ! s’énerve Océane.
− Mensonge !
Un cri strident me vrille les oreilles. Je sursaute et ne peut m’empêcher de pousser un cri de surprise. Je me relève et regarde dans un trou de la porte. Océane se tient l’épaule en insultant de tous les noms d’oiseau qui existent les policiers, pendant qu’Enzo se jette sur eux. Malgré sa grande taille, les policiers n’ont aucun mal à le maintenir. Il le mobilise au sol, une matraque à la main, prêt à frapper s’il tente de se débattre.
La porte s’ouvre dans un grand fracas m’explosant le nez. Je recule complètement apeurée, le nez en sang jusqu’à ce que mon dos rencontre le mur.
− Laissez-moi ! Par pitié laissez-moi !
Le policier n’en a que faire et m’attrape par le bras pour me traîner jusqu’à dehors. Je me débats, je crie de toutes mes forces. Enzo et Océane tentent de venir m’aider mais ils sont coincés par deux policiers qui les tiennent fermement.
Une grande chaleur m’envahit. J’ai la bouche sèche et la respiration lourde. Mes muscles des bras et de la poitrine se contractent. La colère prend possession de mon corps faisant ainsi partir la panique qui m’avait jusque-là assailli. Je me retourne et me jette sur l’homme qui me tient. Je lui saute dessus et passe mes mains autour de son cou que je serre de toute mes forces. Celui-ci me projette au sol et je pousse un cri de douleur. Je me relève immédiatement et attrape le bras du policier que je mords. Je le mords à sang. Mes dents rentrent dans sa chair et son sang coule le long de ma bouche. Il crie de douleur, plusieurs hommes essaient de me maintenir mais je leur crache dessus et frappe tout ce qui bouge. Je suis devenue la bête que je refusais de montrer à Morgan, celle qui apparaît uniquement quand je ne prends pas mes médicaments. Plus rien ne peut m’arrêter, je suis une furie qui attaque tout ce qu’elle trouve sur son passage. Les policiers ont du mal à m’approcher, je vois dans leur regard qu’ils ne savent pas quoi faire. Ils sont positionnés en cercle tout autour de moi et hésitent à s’approcher. L’homme que j’ai mordu est dans un coin et perd beaucoup de sang. Je m’apprête à courir sur un autre homme quand mon corps est soudainement parcouru d’un puissant courant électrique. Je m’immobilise ne pouvant plus bouger, mes muscles sont pris d’une violente crampe que je crains qu’ils ne se déchirent. Je m’écroule au sol comme une poupée de chiffon, le corps toujours parcourut de spasme. L’un des policiers s’approche de moi, range son taser dans sa poche et me donne un violent coup sur la tête. Je tombe immédiatement dans l’oubli.
Je me réveille douloureusement sur un lit qui ne m’appartient pas. Enfin un lit que je croyais ne plus m’appartenir. Il ne me faut que quelques secondes pour reconnaître le lieu. Je suis allongée sur le dos et mes yeux parcourent la pièce. Je n’en reviens pas. Je suis revenue à la case départ.
Ma chambre n’a absolument pas bougé depuis mon mariage. Elle est toujours aussi pauvre en meubles, les barreaux à ma fenêtre n’ont pas bougé et ils m’ont même revêtu de leur immonde blouse marron. Je me relève en chancelant et comme si que je craignais le pire, attrape la poignée de la porte avec hésitation. Celle-ci s’ouvre sans me résister, mais je la referme immédiatement en découvrant ce qui se cache derrière. De ses yeux bleus remplis de colère, de ses cheveux grisonnants et de son horrible verrue au-dessus de la lèvre, je referme la porte au nez de Jocelyne.
Je cours me réfugier au fond de la chambre pendant que Jocelyne entre en boitant. Sa jambe gauche lui fait défaut et la ralentit.
− Enfin réveillée 23 ?
Sa voix sent le mépris et je ne tente même pas de lui répondre. Deux hommes entrent derrière elle et referme la porte à clé. Je suis paniquée. Mes jambes se dérobent sous moi et je m’étale au sol. Les hommes me relèvent et me tiennent bien debout pour que j’évite de re tomber.
− Sais-tu au moins ce que tu fais-là ? Me demande-t-elle comme si la réponse était évidente.
− Je vous jure que je n’ai rien fait !
− Je te crois 23. Mais n’as-tu pas oublié de prendre quelque chose ?
Son visage est collé au mien et je peux sentir son haleine. Une odeur de cigarette froide mélangée au café.
− Mes médicaments ? Je-je les ai pris tous les jours jus-jusqu’à ce qu’ils disparaissent !
− Disparaître… Alors comme ça tes médicaments ont disparu ? Ce n’est pas ce que m’a rapporté Monsieur Gatling.
Mes yeux s’ouvrent comme des soucoupes et je reste la bouche grande ouverte sans savoir quoi répondre. Morgan n’aurait jamais osé. Il doit y avoir une erreur.
− Je veux voir Morgan ! Ma voix s’étrangle et les larmes refont surface.
Jocelyne plante ses deux yeux dans les miens avant de me cracher au visage :
− Tu as mis en danger la vie du fils du président, 23. Tu sais parfaitement ce qui se passe quand tu ne prends pas tes médicaments. Que ce serait-il passé si tu avais eu une crise avec lui dans les parages ? Que lui aurais-tu fait ? Tu l’aurais mordu comme tu as mordu le policier ? Tu l’aurais griffé comme tu as griffés cette jeune femme l’autre jour ?
− Jamais je ne ferais de mal à Morgan ! Jamais !
− Ah oui ? Tu y crois vraiment toi ? 23, nous savons toutes les deux que tu n’aurais pas tenu indéfiniment sans les prendre. Tu aurais craqué tôt ou tard.
Ma vision devient floue. Ma gorge devient sèche. Mes jambes ne me soutiennent plus. Mon cœur à atteint un rythme que je ne pensais pas possible. Ma respiration devient forte.
− Allez-vous faire foutre ! Je réponds une dernière fois avant de recevoir la main de Jocelyne sur ma joue.
− Retournez-là ! Ordonne-t-elle.
Les deux hommes obéissent et me mette à genoux dos à Jocelyne. Je l’entends ouvrir sa poche et en dégager un long objet. Je crie comme une folle. Je me débats en tentant de donner des coups de pieds, mais leur poigne est beaucoup trop forte. Le martinet frappe d’abord l’air avant de s’abattre sur mon dos. Je suis paralysée par la douleur et je pousse un autre cri puissant sortie du fin fond de ma gorge.
− C’est pour ta désobéissance !
Jocelyne me donne un deuxième coup bien plus fort que le premier.
− C’est pour ton manque à ton devoir, 23.
Aucune larme ne sort. Mon dos me pique, je sens le sang couler tout du long. Le martinet revient frapper.
− C’est pour tes médicaments.
Mes oreilles sifflent. Je ferme les yeux et me mord l’intérieur de la bouche en priant le ciel d’en finir. Je n’arrive plus à penser. Toute ma journée s’efface. C’est à peine si j’arrive à savoir ce que je fais là. Le fouet de Jocelyne s’abat sur mon dos comme la pluie contre la vitre. Mon dos est contracté et il m’est impossible de bouger. Je laisse ma tête pendre sur le devant cachant mon visage par mes cheveux. Jocelyne continue de crier ses plaintes.
− C’est pour le fils du président.
A ses mots, elle me donne un dernier coup et d’un geste que je n’ai pu voir demande aux hommes de me lâcher. Je m’écroule comme une loque n’arrivant même pas à tenir sur mes bras et reste sans bouger sur le sol.
− J’espère que tu as compris la leçon, 23.
Jocelyne ne vérifie même pas si je suis encore en vie et s’en va en refermant la porte à clé derrière moi. Mon corps ne ressemble plus qu’à une masse informe sur le sol. Mon dos ne ressemble plus qu’à un morceau de chair en lambeaux. Mes pensées ne ressemblent qu’à du vide, incapable de penser ou même de bouger je reste sur le sol.
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