Le jeune prince sourit à pleines dents. Il regarda son père dont les yeux pétillaient de joie. Le prince appela Léoni qui entra précipitamment dans la salle. Il avait absolument tout entendu de la conversation et je me demandais sincèrement à quoi avait-il servit qu’il sorte. Il se dirigea en sautillant vers le roi qui grognait maintenant.

Émile sortit deux pièces d’or de sa poche et les posa dans les mains tendues du jeune garçon heureux. Léoni éclata de rire lorsque les deux morceaux de métal ronds tombèrent sur ses paumes.

_ La prochaine fois j’éviterai de parier contre toi, grogna le roi.

_ C’est ce que tu dis tout le temps, rétorqua le chevalier en narguant ce qui devait normalement s’apparenter à son plus haut supérieur.

_ Le pire dans toute cette histoire c’est que tu as osé poser un choix contraire au sien sans même savoir de quoi retournait la conversation. Tu étais trop bourrée ce jour-là, rajouta la princesse Liane.

Le roi s’offusqua et regarda sa fille avec de grands yeux ronds.

_ Toi aussi tu penses que je suis un mauvais roi, commença à pleurer Émile dans un grand jeu théâtral.

Voir ainsi la majesté de ce royaume se comporter de cette manière me fit me rendre compte qu’Emile n’était en réalité qu’un homme. Certes il gouvernait un immense pays mais il n’en restait pas moins humain. En m’apercevant de cela, je compris le comportement de tous les individus de cette pièce. Sauf Hector qui devait sans doute lui témoigner un immense respect de le garder aussi près de lui et de le considérer comme son enfant aux yeux du monde entier. Ce devait être une personne géniale.

_ Alors Anthéa chérie, tu as finie par remarquer que ce vieux n’était pas méchant et qu’il ne risquait pas de te tuer si jamais tu riais ? Lâcha Léoni hilare à côté de ce qui pouvait s’apparenter à une sorte de père pour lui au vu de tout ce qu’ils avaient en commun, dont un humour dans toutes les circonstances possibles et inimaginables.

Je le regardai sans comprendre de ce qui l’avait mis sur la piste lorsque je sentis les muscles de mes joues en fonctionnement. Effectivement un sourire retenu s’affichait sur mon visage. Je me détendis, gênée d’avoir rit du roi malgré son consentement et mes réflexions.

_ Mais bref passons ! Déclara le roi.

_ Il était temps qu’il passe aux vraies questions, chuchota Liam dans son coin.

_ Mon cher petit Kay, je vais t’expliquer ce qu’il se passe, débuta le prince qui avait le plus participé de tous dans cette longue conversation inutile. Tu connais sans doute la légende de la Grande Guerre et ce qui s’y apparente ?

_ Oui, bien évidemment, dit Kay avec un volume sonore monté au minimum.

_ La prophétie parle de treize grands chevaliers usant de pouvoirs incommensurables qui causeront une nouvelle Grande Guerre. Cependant même s’ils en seraient la cause, il est dit qu’ils vaincraient l’ordre échappant au contrôle des dieux. Ils seraient aussi dans la possibilité et même dans l’obligation de remplacer ceux-ci.

_ Ah d’accord... lança Kay perplexe une fois que le prince eut fini.

_ Ils seraient donc des sortes de dieux ? Demandai-je.

_ Ce n’est pas sûr mais ils s’en rapprocheraient, confirma le prince.

_ C’est insensé... murmurai-je dans mon coin.

Les regards de Léoni et celui de Léandre se croisèrent et leurs propriétaires pouffèrent sans trop de retenu. Je les regardai, vexée qu’ils se moquent de moi, et le chevalier, essuyant les quelques larmes de joies qui perlaient à son œil gauche, les défendit.

_ On a eu exactement la même réaction. Mot pour mot. Même si notre cher Liam que voici, continua-t-il en présentant le fils de la conseillère, a rajouté, je cite : « Miséricorde ! ».

Les rires des deux garçons se firent bien plus moqueurs. Je tournai la tête vers Liam qui subissait cette légère humiliation. Il soufflait d’exaspération mais ne semblait pas prêter une grande attention à ce qu’il se passait autour de lui. Il avait l’air ailleurs. J’osai prendre la parole pour poser une question.

_ Comment fait-on pour reconnaître ces gens ? Léoni a aussi dit que les pouvoirs seraient minimes au début puis se lâcheraient un peu plus tard, avançai-je déjà un peu plus à l’aise en la présence de ces personnes.

_ Leurs yeux.

Je tournai la tête vers celui qui avait parlé. Liane avait pris la parole un court instant.

_ Ils sont capables de voir les cercles magiques de certains sorts. Généralement ceux qui sont au niveau de leur connaissance de la magie. Mais il y a aussi autre chose. Leurs pupilles reflètent elles-mêmes leur propre cercle magique. Différents selon les individus, expliqua la princesse.

Les yeux... Je regardai Léoni. Il était à un pas de moi. Je fixai ses pupilles mais n’arrivais pas à voir grand chose. Il tourna complètement la tête vers moi pour me fixer lui aussi et je pus voir quelque chose briller au fond de son œil. En effet en détaillant correctement cette faible lumière, j’arrivai à distinguer un petit cercle magique.

_ C’est vraiment ressemblant... Murmurai-je.

_ Bien. Pour le moment c’est tout ce que nous pouvons dire sur ce sujet. Si tu as d’autres questions tu devrais en discuter une autre fois avec Léoni, intervint le roi en s’adressant à moi puis se leva pour aller voir mon frère. Tu veux rester ici pour combien de temps ?

_ Ça ne devrait pas être long mais je dirais quand même une semaine.

Émile acquiesça et demanda à Liam de nous mener, Kay et moi, dans la chambre voisine à la sienne. Mon frère attrapa Léandre par le bras et le tira à l’extérieur de la pièce sans aucune délicatesse.

Quelqu’un attira mon attention en tapotant deux fois sur mon épaule. Je le retournai pour lui faire face et tombai nez à nez avec le fils de Lisabeth. Il semblait ennuyé.

_ Tu viens ? Dit-il sous forme de question qui n’en était pas vraiment une.

J’hochai la tête et le suivis. Kay se tenait toujours derrière moi mais paraissait bien plus confiant qu’à notre arrivée. Liam marchait devant moi, les mains dans les poches, le dos courbé, les pieds rasant le sol. Son attitude me laissait facilement deviner qu’il aurait préféré être n’importe où sauf ici. Lorsque la conseillère l’avait appelé, il avait laisser paraître son ennuie profond mais aussi sa curiosité sur les faits qui avaient été discutés.

Nous passions par la porte par laquelle nous étions entrés puis montions un escalier quelques mètres plus loin sur la gauche pour arriver dans un long couloir contenant quelques portes incrustées dans les murs assez éloignées les unes des autres. Notre guide passa devant deux portes avant de s’arrêter à la suivante. Toutes les portes étaient en bois peint en blanc. La poignée ronde se démarquait par sa couleur et son matériau d’or. Liam posa sa main sur celle-ci puis poussa le battant et entra. Une pièce gigantesque s’imposa à nous. Un salon en son centre ainsi qu’un lustre énorme au plafond et de nombreux buffets sur les côtés étaient présents dans cette salle qui semblait bien vide.

Il y avait aussi quatre autres portes que nous présenta le noble en nous faisant visiter.

La première à droite donnait sur une chambre accompagnée de sa salle de bain et d’un grand placard. La suivante était une deuxième chambre bien plus grande avec un immense placard et sa propre salle de bain aussi. La troisième était une vaste salle vide. Et la dernière, à gauche de la porte d’entrée, offrait un autre petit salon dont le plafond était transparent. Liam nous apprit que cette pièce était insonorisée. J’appris par la même occasion ce que voulait dire ce mot de la bouche de Liam qui soupira avant de m’expliquer.

Je n’avais pas tout compris alors il me proposa de faire un test. Il entra dans la pièce et referma la porte pendant que je restai dehors. Je n’entendis rien. Je ne savais pas ce qu’il y avait fait mais il revint quelques secondes après.

_ J’ai crié et tu ne m’a pas entendu. Voilà ce qu’est une pièce insonorisée.

C’était stupéfiant. J’avais hâte de pouvoir faire tout n’importe quoi avec la magie. Elle était vraiment incroyable. Il me regardait mais détourna vite le regard avant de se diriger vers la sortie.

_ Vous pouvez rester là. Si vous avez besoin d’aide, venez me voir à la première porte à gauche. Ne me dérangez que si vous n’avez personne d’autre à qui demander. Thalion devrait revenir d’ici quelques heures. Il ne mangera pas ici ce soir. Je viendrai donc vous chercher pour le dîner.

Il avait dit tout ça d’une traite. Sans respirer une seule fois. Ce garçon me semblait plutôt froid et je me promis de ne pas aller le déranger à moins de danger de mort. En y réfléchissant bien, je pense qu’il me faisait surtout peur. Son regard en disait long sur sa personnalité.

Il abaissa la poignée de la porte devant laquelle il se tenait et sortit silencieusement laissant un calme effrayant peser sur nous.

_ Ouah... Je savais que les nobles étaient distants, surtout avec le peuple mais lui... Il est incroyable, dit Kay en rompant le silence.

Je tournai la tête vers lui.

_ Ils sont tous bizarres ceux qu’on a rencontrés aujourd’hui, ajoutai-je.

_ C’est vrai qu’entre le roi, la duchesse et son fils et la princesse, y a de quoi réfléchir au véritable sens du mot « respect ». Il n’y a que le prince qui me semble agir comme une personne normale, plaisanta-t-il.

Je riais aussi à sa blague. Je n’avais pas osé le faire devant toutes personnes mais maintenant il était vrai qu’elles ressemblaient plutôt à des humoristes qu’autre chose.

_ Ça te dit d’aller de reposer sur un lit ? Proposa-t-il.

_ Bien sûr mais comment veux-tu qu’on s’organise ? Mon frère ne va pas rentrer tout de suite.

_ On n’a qu’à lui laisser la deuxième chambre. Ce n’est pas comme s’il allait se passer quelque chose dans ce palais de toute façon.

Il rigola. J’acquiesçai et le suivit dans la deuxième chambre que nous avions visiter, étant la plus proche de nous.

Il s’assit nonchalamment sur le matelas du lit et soupira.

_ C’est vraiment confortable... Ah la vie de riche !

Je souris et m’allongeai de l’autre côté du lit. Il était tellement agréable de se reposer sur un tel meuble. Après une minute de silence durant laquelle Kay réfléchit, il coupa court à ce mutisme.

_ Dis Anthéa, pourquoi tu crois qu’il y a des statuts différents ? Me questionna le jeune enfant à côté de moi.

Je m’assis pour lui faire face et devant son air sérieux, j’arquais un sourcil.

_ Je n’en sais rien. Tu y avais déjà réfléchi, toi ?

Il regarda dehors avant de me répondre.

_ Pas avant aujourd’hui. Mais ça me semble évident en réalité.

_ Comment ça ? Tu veux dire que les statuts sociaux ont été créés pour une raison autre que parce que certaines personnes étaient riches et d’autres pauvres ?

_ Oui, c’est évident.

Il réfléchissait, les yeux dans le vague. Je ne le connaissais pas et je ne savais rien de lui hormis son nom, son prénom et son apparence. Ah et aussi le fait que c’était une sorte de fantôme. Cela était-il vraiment un problème pour lui qu’il y est des gens plus riches et d’autres plus pauvres ? Personnellement ça ne m’avait jamais dérangé plus que ça mais je savais très bien que beaucoup vivaient dans la misère même si on n’y faisait pas attention.

_ Enfin bon, je ne peux pas vraiment y faire grand chose.

Il rigola pour détendre un peu l’atmosphère qui était basé sur une réflexion bien difficile pour de jeunes enfants.