Bim ! Bam ! Boum !
Lorsque l’ombre avait atterrie, elle avait enchaîné un combat très habile contre l’homme, le second s’étant sauvé.
Le nouveau venu était vêtu d’une cape noire l’enveloppant tout entier et le faisant presque disparaître dans la pénombre de la nuit. Une fois son ennemi à terre, il s’excusa.
_ Excusez-moi, commença la - finalement - petite fille.
Sa voix était vraiment fluette mais très jolie, elle me dépassait d’une petite dizaine de centimètres et lorsqu’elle retira sa capuche, son visage mate et enfantin contrastait avec les airs qu’elle revêtait avec son habit noir. Ses cheveux noirs et bouclés étaient attachés en une fine queue de cheval qui rentrait parfaitement dans sa large capuche.
Sa façon de parler était aussi très direct et quelque peu… maladroite.
_ Je ne voulais pas vous aider. Enfin si. Mais je voulais simplement passer. Enfin du coup, je vais vous laisser.
Elle partit en courant sans que nous n’ayons pu prononcer un unique son.
Elle avait attaqué un homme qu’un Saint-Chevalier, même s’il était bourré, n’avait pas réussi à blesser. Elle était impressionnante mais ne m’avait pas parut plus musclée que ça. Avait-elle utilisé de la magie ? J’étais tellement excitée et surprise de voir tout le monde utiliser la magie que les deux mois prochains allaient y être entièrement consacrés avant que je rentre à l’académie.
Après cet incident mineur, Léoni était complètement torché, n’arrivant plus à placer un pied devant l’autre et son amertume face à la défaite qu’il venait de subir, Kay était fatigué, mon frère me rappelait que nous devions partir demain matin, Liane hésitait sur le fait de rester admirer les étoiles dans les jardins royaux et les jumeaux prétextait finalement, au bout d’un certain temps, qu’ils devaient travailler le lendemain. Quant à moi, j’avais hâte de commencer sérieusement la magie. De plus pendant les vacances, mon frère pouvait m’aider. Nous rentrâmes donc au palais en laissant Andor et Lamia à la moitié du chemin puis nous passâmes encore une fois par le toit avant de se séparer pour aller dormir.
Le lendemain matin nous sommes partis peu avant le changement des tours de garde du palais. La plupart s’endormait debout, d’autres rêvassaient et discutaient, et ceux de la grande porte étaient adossés au mur extérieur et avaient les yeux fermés. Peut-être dormaient-ils.
A part les rares gardes qui étaient encore éveillés, nous ne croisions personne. Le château était désert. Ce fut ainsi plus facile d’en partir.
Le soleil s’était levé depuis peu de temps lorsque nous arrivâmes dans un lieu à quelques kilomètres de notre point de départ. L’endroit semblait être un quartier plutôt aisé, pourvu de petites maisons ne possédant qu’un intérieur. Certaines lanternes extérieures étaient encore allumées dû au fait que l’ombre régnait encore dans cette partie de la ville. Nous traversions donc la rue et arrivions finalement devant une étroite façade de maison située presque au bout de sa rangée.
Un écriteau en platine était accroché sur la porte avec un nombre inscrit dessus : 456.7. Mon frère frappa à la porte puis attendit. Avec quelques secondes de retard nous entendîmes une voix d’homme s’écrier de l’intérieur du bâtiment.
_ J’arrive, j’arrive ! Laissez-mois trente petites secondes.
Finalement une minute plus tard, toujours aucun signe que la porte allait s’ouvrir. Un son se fit alors attendre encore quelques secondes plus tard et un homme apparut alors dans l’encadrement de la porte a présenté ouverte.
_ Thalion ! Je suis ravi de te revoir. Vous venez d’arriver ?
L’homme ne semblait pas bien vieux, la trentaine environ. Ses cheveux presque blancs étaient dégoulinant de sueur et sales, sa peau pâle possédait elle aussi des traces de saleté, ses petits yeux bruns semblaient fatigués mais pleins de joie et pour un adulte, il n’était pas bien grand.
_ Bonjour à toi aussi, Albin. A part ça oui, nous venons d’arriver.
Un silence s’installa. Notre hôte devait être dans ses pensées puisqu’il ne bougeait pas. Il se rappela de notre présence après que Thalion est lancé un petit « Yoohoo ! ».
_ Excusez-moi, vous pouvez entrer. Thalion, tu peux monter vos affaires dans votre chambre. Je vous ai préparé un bon petit déjeuner, dit-il fier de lui.
_ Qu’entends-tu par « bon » ? Demande Thalion méfiant.
_ Une pomme !
_ Ah, c’est bon les pommes, effectivement.
Mon frère était fatigué. Ça se voyait sur son visage. A mon avis, il allait déposer nos sacs dans la chambre puis s’allonger sur le lit et s’endormir. Il ne devait pas avoir faim.
_ Une pomme ? Me demanda-t-il après que mon frère soit parti.
Je regardai le fruit rouge qu’il tenait dans sa main et acceptai. Elle était délicieuse. Pas trop sucrée mais très juteuse. En la mangeant, je suivis l’homme nommé Albin dans sa maison. Il emprunta un court couloir puis arriva dans une énorme pièce avec en son centre une table sur laquelle était posée une maquette d’un engin avec des roues. Certaines pièces de métal de la machine ressortait vers l’extérieur, signe que ce n’était pas encore fini.
_ Je te présente le prototype de ce que j’espère un jour être une calèche sans cheval. Ce n’est pas encore au point et il me manque un cristal magique. Je ne sais pas encore comment m’en procurer mais je trouverai et mon invention sera la plus géniale de toutes ! Il me manque aussi la plupart des inscriptions magiques mais je suis sûr que ça va le faire.
Une calèche qui fonctionnerait sans chevaux ? Personne ne voyait l’utilité qu’une calèche n’ait plus d’animaux pour la faire avancer. Et moi-même je ne savais pas ce que ça pourrait apporter de plus. Par cette raison, personne n’y avait pensé. Mais cet homme là y avait, non seulement pensé mais avait aussi travaillé dessus pendant sûrement des mois. Était-ce du temps perdu ou juste une passion ?
_ On dirait que Thalion ne redescend pas. Je vais aller voir s’il a besoin d’aide. Tu peux prendre une autre pomme sur le comptoir si tu veux.
J’acquiesçai silencieusement la pomme dans la bouche. Après qu’il soit monté à l’étage rejoindre mon frère je refermai ma mâchoire sur le fruit. Je n’en avais vraiment jamais goûté d’aussi bonne. J’étais assise sur une chaise dans la cuisine qui n’y ressemblait pas vraiment. L’évier était rempli de ferrailles, les nombreux plans de travail pliaient sous le nombre de morceaux de bois ou de ferraille et sur la table, seul un petit endroit devant moi était vide, le reste était encombré d’outils en tout genre. Cet homme, Albin, avait dit créer un véhicule magique sans chevaux pour le tirer, il était sans doute ingénieur mais tout de même… Son habitation était un véritable débarras. Seuls les plans accrochés au mur par des punaises semblaient être à leur place.
En prenant une seconde pomme placée dans un panier par terre, mon regard fut attiré par une porte entièrement vitrée derrière laquelle se tenait un véritable jardin. De basses haies se tenaient le long d’un court chemin au bout duquel se dressait un gigantesque arbre et autour de celui-ci, un rosier orange se tortillait tout autour empêchant à quiconque d’y monter.
Intriguée par la beauté de ce qui se trouvait en face de moi, je décidai de m’approcher de la porte pour voir le reste du jardin. Malheureusement pour mes yeux qui s’attendaient à voir quelque chose d’aussi joli et distingué, il n’en fut pas de même pour ce qui était en dehors du chemin central. D’autres bric-à-brac étaient entassés dans la pelouse défraîchie du jardin d’Albin. Finalement sa maison était un véritable dépotoir et n’était pas du tout entretenue. Seul cet arbre et ses roses étaient en bon état.
Des pas se firent entendre dans les escaliers tandis que j’observais encore le rosier. Je me retournai et croquai à nouveau dans ma pomme. Je ne l’ai jamais assez dit mais ces pommes sont vraiment un délice. Albin arriva à ma hauteur et contempla lui aussi l’extérieur.
_ Je suis arrivé dans cette maison il y a un peu plus de quatre ans. A mon arrivée le rosier dépérissait et l’arbre mourait. C’était un endroit bien triste.
_ Comment avez-vous fait pour qu’il soit à nouveau en bonne santé ?
Il me lança un regard comme s’il n’avait pas bien compris ma question.
_ Une petite averse et le tour était joué, s’expliqua-t-il.
_ Une simple averse pour un arbre malade et des roses mortes ? Doutai-je.
_ Bon, j’avoue qu’on m’a aidé. Un jeune mage talentueux a usé de ses incroyables petits pouvoirs magiques pour lancer un sort de… vitalité, il me semble.
Incroyables petits ? C’était français, ça ? L’histoire de cet homme tenait la route mais qui était ce jeune mage dont Albin semblait éprouvé à la fois de l’admiration mais aussi de la bienveillance ?
Je trainais encore dans mes pensées lorsqu’il ouvrit la porte de glace et sortit dehors.
_ Au fait, ton frère s’est endormi comme un bloc ! Toujours aussi impressionnant ce gamin.
Puis il repartit vaquer à ses occupations à l’extérieur. Je ne savais pas trop où me mettre et décidai donc de l’observer.
Il s’était placé devant une calèche qui ne possédait ni attelage pour cheval ni marche pied et dont le siège pour le cocher était placé plus bas qu’à l’accoutumée. C’était donc l’engin en version réelle qu’il souhaitait créer . J’observai sous toute les couture sa création. Il y avait encore des trous dans le montage et à l’arrière, une sorte de coffre était ouvert avec de nombreux fils de fer qui en ressortaient.
Je m’approchai un peu plus du matériel mais fut rapidement arrêtée par Albin.
_ Conseil : n’y touche pas. Je ne sais pas encore exactement les effets que ça a sur les être vivants.
_ Ils servent à quoi ?
_ Il conduisent la magie dans les roues qui tourneront et feront avancer la calèche. Mais ce sont des inscriptions donc elles n’auront peut-être pas le résultat attendu.
C’était vraiment ingénieux. Même sans rien connaître à la magie ou à la mécanique on pouvait utiliser l’engin. Un seul détail persistait dans mon esprit : d’après ce que j’avais récemment appris, les runes gravées ou inscrites ne fonctionnaient pas indéfiniment, ils faudraient donc les changer fréquemment.
_ Il me manque certaines détails à voir et le tout n’est pas encore monter. Donc le fonctionnement de ce véhicule n’est encore que théorique mais j’ai fait plusieurs expériences à petites échelles. De plus d’après mes calculs et l’avis de quelques mages ça devrait fonctionner. Cependant mes prototypes n’ont pas pris en compte la place, le poids et le nombre d’inscriptions nécessaires total.
A la fin, ses paroles s’étaient achevées en un murmure, comme s’il connaissait déjà l’issue de ses recherches. Soit il avait tout tenté soit beaucoup l’avaient sommé de cesser ses activités. Si Albin réussissait à mener à bien ses travaux, la moitié des ventes du commerce des chevaux s’en retrouverait perturbée.
_ Bien ! Alors pour le poids il suffit d’une rune de gravité, n’est-ce pas ? Commençai-je, prête à l’aider.
Je lui lançai un coup d’œil avant de m’élancer vers un de ses plans qui jonchaient le sol. J’écrivis rapidement quelques mots avec un crayon qui trainait lui aussi par terre puis me redressai en sentant le regard surpris de l’ingénieur posé sur moi.
Le plan sur lequel j’avais gribouillé représentait un fidèle dessin du véhicule. Sur chacune des roues j’avais dessiné une inscription de gravitation que j’avais pu apercevoir dans un des livres lu lors de mon séjour au château. J’attendis quelques secondes qu’Albin confirme mes écrits avant de lui demander une feuille vierge qu’il s’empressa d’aller chercher et me donner.
La suite fut un peu plus compliquée. La place et le nombre devaient être calculés en même temps. Il suffisait cependant simplement d’avoir une liste des inscriptions ainsi que leur nombre et leur emplacement approximatif. L’intensité d’une rune dépendait de sa taille. Donc logiquement après, tout s’emboîtait. Une trentaine de minutes plus tard, sous le regard amusé et intrigué de l’ingénieur en chef du projet, je finissais mon œuvre.
Albin se leva et prit le papier. Avec étonnement ses yeux parcoururent attentivement chaque parcelle de mon écriture, de mes schémas. J’avais, tant bien que mal, dessiné chaque partie du projet accompagnée de ses runes, celles-ci placées chacune de sorte à ce qu’elles soient utiles sans déranger le fonctionnement du reste.
_ Tu as étudié l’ingénierie mécanique ? Finit par dire Albin sans détacher le regard de son Saint-Graal.
_ Non, c’était simplement assez évident et puis vous aviez déjà presque tout fait. J’ai juste assemblé les pièces du puzzle, expliquai-je. Je suis douée pour ce genre de chose.
L’ingénieur acquiesça, étudiant encore la nouvelle disposition des runes.
_ Tu devrais vraiment faire carrière dans la mécanique plutôt que de devenir mage, marmonna-t-il.
Sa phrase était un beau compliment mais quelque chose me dérangeait. Comme une impression de déjà vue.
_ Qu’avez-vous dit ?
Il détourna enfin les yeux vers moi.
_ Je disais que tu étais douée pour la mécanique et que tu devrais changer de carrière.
Oui. C’était clair maintenant. J’avais déjà entendu cette phrase. Quelqu’un m’avait déjà dit ça. L’image d’une inconnue aux courts cheveux bruns et aux yeux bleus foncés s’imposa dans mon esprit. Je ne me souvenais pas d’elle mais j’étais certaine de la connaître. Avant que je ne creuse d’avantage, la porte de derrière, celle par laquelle nous avions accédé au jardin, s’ouvrît pour laisser passer mon frère.
_ Vous avez déjà bien fait connaissance à ce que je vois, constata le nouvel arrivant après un long bâillement.
_ Et toi, tu t’es écroulé de fatigue on dirait.
Je souris et Thalion me sourit en retour, bien que son sourire était plus fatigué et timide.
_ Thalion ! Savais-tu que ta sœur était douée pour la mécanique ? Elle a trouvé tout de suite les réponses à ce que je cherchais depuis près d’un mois !
Le concerné rigola avant de répondre à notre hôte.
_ Elle a toujours été très intelligente. Et du coup tu as terminé ta calèche sans chevaux ?
_ Il faut seulement que je me procure tout ce dont j’ai besoin puis que je teste tout ça mais je suis certain que ça va marcher, avança Albin avec un sourire fier.
Thalion s’était avancé jusqu’à l’ingénieur et regardait à présent les plans.
_ Anthéa… Souffla presque inintelligiblement mon frère. Tu es sûre de vouloir devenir mage ? Plaisanta-t-il finalement.
_ Bien sûr que oui ! La magie est tellement fabuleuse et mystérieuse ! Et puis c’est vraiment trop bien la magie, souriais-je.
_ Je suis absolument d’accord avec toi, petite sœur, me dit-il avant de s’adresser à Albin. Veux-tu que je te fasse les inscriptions ?
_ Si tu veux bien, il m’en faudrait quarante-six.
_ Très bien ! Ce sera mon remboursement pour le loyer, plaisanta encore mon frère avec un sourire narquois.
_ Tu penses pouvoir finir dans combien de temps ?
_ Trois semaines si je prends mon temps.
_ Génialissime ! Tu sais que si je les avais commandé, je ne les aurais pas reçus avant des mois ?
Thalion acquiesça ennuyé par ce qu’il savait déjà.
_ Je te jure que tu seras le premier à tester mon incroyable machine, acheva le mécanicien avant de s’enfuir et de rentrer à l’intérieur de sa demeure.
_ Je vais m’en passer, merci bien, grommela Thalion après que l’homme le plus joyeux sur Terre en cet instant fut parti.
Il soupira.
_ Il est vraiment ingénieux et talentueux. C’est dommage qu’il n’arrive pas à comprendre que certaines choses n’en valent pas la peine. Les gens ne voient en lui qu’un homme qui cherche à se faire connaître pour des inventions qui seront finalement inutiles dans le futur. Alors qu’en vérité il souhaite simplement étudier les recoins les plus profonds de la magie. Quelqu’un m’a dit un jour : « Si quelque chose te semble mystérieux, explores-en les moindres parcelles sans faire attention à ce qu’on raconte autour de toi. ».
_ Il veut connaître ses secrets… Prononçai-je avec admiration.
Finalement moi aussi je souhaitais savoir tout ce que je pouvais sur la magie.
C’était quelque chose d’assez récent. Lorsque j’étais bien plus jeune, je rêvais d’être mage et j’avais déjà prévu tout mon parcours. J’allais faire des études à l’académie puis être mage élémentaire et accomplir tout pleins de choses. Je m’étais déjà imaginée en train de sauver le monde. Cependant, jamais il ne me serait venu a l’esprit de commencer à étudier la magie. C’était quelque chose d’irréel, un rêve hors de portée… Mais depuis cet assassin, depuis que je me suis jurée de venger mes parents, j’avais commencé à mettre les bouchées-doubles pour réaliser mon rêve et accomplir ma vengeance. Pour cela une connaissance approfondie m’était nécessaire et l’école n’en aurait jamais été suffisant.
_ Dis Thalion, tu penses que je réussirai à devenir mage ? Demandai-je à moitié dans mes pensées.
_ J’en suis certain. Tu as toute ta curiosité avec toi pour réussir.
J’acquiesçai et rentrai à mon tour dans la maison. Je me dirigeai à l’étage où en déambulant dans le couloir et en ouvrant quelques portes, je finis par trouver nos affaires. C’était notre chambre pour les deux mois à venir. Je m’asseyais sur un lit près d’une fenêtre et regardai les gens passer.