Les lumières des grandes rues de la ville étaient assez fortes pour éclairer notre chemin, ce qui nous permettait de ne pas utiliser l’outil appelé « lampe ». Les murs des bâtiments et des magasins de la rue principale étaient plutôt clairs. Cependant, tous étaient fermés. Je ne savais pas où mes amis comptaient nous emmener mais je n’avais, pour le moment, aucune piste.
Habillés de noirs, nous longions les murs blancs afin de ne pas se faire remarquer. Ce ne fut pas une grande réussite puisque les rares passants que nous croisions nous faisaient des signes de tête polis.
Léoni qui menait le groupe ralentit et se positionna au même niveau que l’héritière. Il lui murmura quelques mots puis, à une ruelle qui s’ouvrît sur notre gauche, tourna dans celle-ci puis il sortit sa lampe et l’alluma afin d’éclairer cette partie bien moins lumineuse de la ville.
Au bout de l’alcôve, un mur se dressa soudainement devant mes yeux. Je me retournai puis me tournai encore pour faire à nouveau face au mur. Je clignai des yeux, me pinçai le bras puis tendis ce dernier pour essayer de toucher le mur. Mais il semblait bien réel. Avais-je halluciné ? J’avais pourtant l’extrême conviction que la ruelle était bien plus profonde. Le mur était palpable, mes mains se posaient sans peine sur sa surface lisse. Bien plus lisse que la normale.
_ Anthéa, qu’est-ce que tu fais ? Demanda Léoni.
Je clignais des yeux. Devant moi se tenait le chevalier. Il s’approchait de moi, inquiet. Le bloc de pierre n’était plus là, il avait tout simplement disparu.
_ J... Je... Il y avait..., bafouillai-je.
Sans terminer je jetai des regards partout autour de moi. Avais-je vraiment halluciné ?
Je regardai Léoni qui me regardait aussi. C’était à ce moment là que j’ai réalisé. Ni Liane ni Kay n’étaient autour de moi. Ils avaient disparus. Le chevalier s’approcha de moi de plus en plus inquiet. Mais alors que sa main allait toucher mon avant-bras, un éclair tomba devant le nez de celui-ci. Il me fit voltiger en arrière mais mon ami, lui, se contenta de diriger son regard vers le ciel. Il se mit à pleuvoir et très rapidement, même un hurlement n’aurait pu se faire entendre à travers le bruit de la pluie.
Ne voulant pas rester seule, je cherchai Léoni du regard. Mes yeux le retrouvèrent vite mais je fus choquée de ce que je vis.
Mon ami et Saint-Chevalier fondait littéralement à quelques pas de moi. Sa tête avait déjà entièrement fondu. Son corps continuait de fonctionner et marchait, les bras tendus devant lui, un peu à tâtons.
Au bout d’une quarantaine de secondes, son corps entier était consumé. Était-ce l’eau qui avait fait ça ? Rêvais-je ? Où étais-je bien éveillée et tout cela se déroulait réellement ?
La pluie cessa. Des murmures se firent entendre. Parmi les voix, je pouvais en distinguer deux bien précises. La voix de ma mère et celle de mon père. J’étais désormais comme obnubilée par leurs voix. Si bien que je marchais en direction de ce qui me semblait être la source des échos. Alors que je me trouvai en ville il y a quelques secondes, une forêt et une cascade étaient à présent face à moi. Mais je n’y prêtais pas attention. Tel un être sans pensées je me dirigeais vers le cours d’eau vertical. A l’intérieur je pouvais voir mes parents.
Ils me faisaient signe d’approcher et de venir avec eux. Je posai un pied dans l’eau. Un courant électrique parcourut tout mon corps. Puis un flash.
Ma tête bourdonnait et mes oreilles sifflaient. Je clignais des yeux mais voyais tout blanc. Un blanc pur.
Un minuscule point noir apparut sur cet écran blanchâtre. Il grossit, grossit, grossit... jusqu’à obscurcir toute ma vision. Cependant ce n’était pas tout. Une crampe à l’estomac me tordit en deux. La douleur était atroce. Mon corps percuta une surface plane verticale mais je ne faisais pas attention à mon environnement. Je voulais crier tellement la douleur était forte mais aucun son ne sortait de ma bouche. Seul mon souffle passait mes lèvres.
Avant de tomber pour de bon au sol, ma joue gauche me piqua et me fit mal comme si j’avais reçu en coup. Puis un nouveau flash.
_ Deux ! S’écria la voix d’une jeune fille.
J’étais allongée sur le sol. Je me redressai vivement. Il faisait nuit noire. Au dessus de moi étaient penchées deux personnes.
_ J’ai cru que tu ne te réveillerais jamais ! Dit Léoni essoufflé. Ton cœur s’est arrêté pendant deux minutes !
Je le regardais sans comprendre grand chose à ce qu’il disait. Liane me regardait de la même manière que Léoni, elle était inquiète.
_ Que s’est-il passé ? Demandai-je en reprenant mes esprits. Qu’est-ce que c’était ?
_ L’illusion de passage. Elle n’est pas censé être puissante. Elle sert seulement à empêcher n’importe qui de passer au-delà, m’expliquait Léoni.
_ Pas puissante ? Elle est censée faire quoi ?
Liane s’approcha de Kay, inconscient, l’assit et lui secoua gentiment les épaules. Celui-ci ouvrit peu à peu les yeux et commença à se réveiller comme après un doux rêve. Il bailla et s’étira tranquillement sans adresser un mot à quiconque. Liane esquissa un sourire avant de me jeter un regard sous-entendu. Il était vrai que Kay était plutôt mignon. Je rougis à cette pensée et la chassa de ma tête. D’abord Léoni puis Kay ? Qu’est-ce qui me prenait depuis une semaine à rougir pour des garçons ?
Le jeune fantôme se releva enfin et commença à demander le pourquoi du comment.
_ Une illusion de passage, répéta le chevalier à l’enfant.
Kay acquiesça tandis que moi j’attendais toujours la réponse à ma question. Ce à quoi mon très cher ami le chevalier me répondit sans aucun tact.
_ Cette illusion est une barrière qui consiste à lire dans l’esprit des personnes voulant y accéder. Normalement elle laisse passer tout le monde. Ceux qui en meurt sont dit inaptes à la magie ou un truc du genre...
Inapte à la magie ? Cela voulait dire que ces personnes ne pouvaient pas la pratiquer ? Alors si mon cœur s’était arrêter tout à l’heure... C’est parce que j’étais inapte ? Pourtant j’avais pratiquer la magie... Kay m’avait appris quelques bases et j’avais parfaitement réussi. Comment était-ce possible ?
Je commençais à paniquer. Mais heureusement pour moi, Léoni l’avait remarqué.
_ Non, non… Ce n’est pas un problème. Au contraire. Être inapte à la magie ne signifie pas dire qu’on ne peut pas pratiquer de magie, se rattrapa-t-il.
Je sentis mon sourcil gauche se lever. Je ne comprenais plus rien. Cependant Léoni n’en dit pas plus et reporta la question silencieuse à plus tard. En réalité il dit exactement :
_ Tu demanderas à tes professeurs à l‘école.
Puis clôtura la discussion en nous esquivant tous pour s’aventurer plus profondément dans la ruelle. Nous avons traverser dans de sombres ruelles comme celle-ci pendant un certain temps. Un dédale de petits chemins disséminés un peu partout dans la ville conduisaient à des lieux incongrus pour une grande ville réputée comme Valbe.
Kay et Léoni étaient très à leurs aises dans cette partie de la ville. La princesse était moins confiante bien qu’elle semblait y être habituée. Quant à moi, j’étais plutôt en train de me cacher parmi mes amis. J’essayais de rester au plus proche de Liane, qui était celle auprès de qui je m’étais le plus rapprochée ces derniers temps. C’était sûrement parce que c’était une fille mais… Elle avait aussi un côté attrayant qui donnait vraiment envie de se lier d’une quelconque manière avec elle.
De nombreuses demeures délabrées se dressaient sur les côtés et nous finîmes par arriver devant un bar miteux. La porte… Non. Le bout de bois moisi qui était à moitié décroché de ses charnières rendait le bâtiment encore plus dangereux et repoussant.
Mes amis se dirigèrent pour entrer dans cette structure de bois. A l’intérieur il faisait noir. D’un noir d’où des monstres auraient pu sortir. Le plancher sur lequel nous marchions était craquelé et grinçant. Le vieux bois pourri avait donné à l’air une odeur infecte de chien mouillé. Le silence pesant qui régnait en ces lieux me donnait la chaire de poule. Après avoir seulement traversé la distance séparant l’entrée du comptoir, les choses empirèrent. Ce lieu abandonné provoquait un niveau d’angoisse à couper le souffle pour une enfant de mon âge. Même si à ce moment-là je ressentais la pire sensation de ma vie, je ne pensais pas que cela pouvait devenir encore pire.
Un coup de vent s’infiltra par les escaliers. Mes cheveux volèrent au vent puis se reposèrent sur mes épaules. Le plafond au-dessus de nos têtes craqua. De plus en plus fort. De la poussière commençait à s’en écouler. Puis à quelques centimètres de Liane que je tenais fermement, les planches cédèrent. Et un corps tomba alors du ciel.