Ambre soupira d’aise.
Elle venait de prendre son premier bain ici, à la demeure des De Sous-Bois, et c’était bien agréable.
Elle avait passé une petite heure à patauger dans l’eau chaude qui lui avait brûlé la peau au premier abord, mais qui l’avait bercée durant tout le reste du temps.
Pour une fois qu’elle se rendait dans la salle de bain de jour ! Elle avait une allure toute autre, une allure propre, épurée, élégante…
À présent, Ambre embaumait d’un doux parfum propre, et ses cheveux lui semblaient beaucoup moins lourds sur sa tête.
Jour après jour, un grand froid polaire s’installait autour de la demeure des De Sous-Bois, et ces derniers luttaient pour garder leurs cheminées allumées.
Le matin, on pouvait voir un fin gel lézarder les vitres du manoir.
C’était un beau début d’hiver, et une belle fin d’automne.
Ambre, Alice et René passaient toujours du bon temps ensemble. La plupart de leurs journées n’étaient pas rythmées par des activités complètement folles, mais elles étaient d’un tranquille apaisant, et Ambre avait vraiment l’impression que les vacances familiales venaient de commencer pour elle.
Bon, il était vrai que parfois, Alice s’éclipsait pour ses divers cours, repas ou invitations, et que parfois même, elle semblât préférer la présence de René à celle d’Ambre.
Mais tout ceci était minime dans l’esprit d’Ambre, donc elle n’y voyait aucun souci.
C’était un de ces après-midis qu’elle adorait : un après-midi calme et reposant. Dehors, le soleil déclinait déjà, le feu crépitait dans la cheminée de la chambre, René feuilletait un des livres de la bibliothèque d’Alice, assis en tailleurs au milieu de la pièce, et Alice, assise à son bureau, continuait d’apprendre le long parchemin donné par sa mère, comportant toutes les phrases-clés du parfait goûter.
« Elle a quand-même écrit « Oui madame de la Houssaye, je serais ravie de devenir une proche amie de votre fils ! », bougonna t-elle. Celle-là, je ne sais pas si je vais l’apprendre. »
Ambre, elle, assise sur la banquette à côté de la fenêtre, se laissait aller à une petite sieste, la joue contre la vitre froide, les paupières closes.
« Je n’ai plus d’encre », s’alarma soudainement Alice.
Ambre rouvrit les yeux, et se redressa de sa position.
« Tu n’as plus d’encre ? Répéta René, levant le nez de son livre.
— Oui.
— Je peux aller en chercher si tu veux », se proposa Ambre.
Elle s’étira.
« C’est où ?
— Dans la loge de Margaret. Dans sa commode. Je ne sais plus quel tiroir c’est, mais il n’y en a que trois, vous devriez trouver. »
Ambre hocha la tête, puis quitta la chambre.
Elle s’engagea tranquillement dans les couloirs, sans crainte. Albertine et sa mère étaient encore de sortie, elles étaient invitées en ville par une quelconque amie.
La loge de Margaret se trouvait juste à côté de la cuisine, au rez-de-chaussée.
Elle poussa une petite porte, et s’arc-bouta pour passer sous le bas plafond.
En effet, là-bas, trônait une petite commode.
Trois tiroirs.
Elle décida d’abord d’ouvrir celui du milieu.
Il est tenace, celui-là, pensa Ambre, tentant de faire coulisser le tiroir sur ses rails.
Il semblait bel et bien bloqué.
Alors, sans hésiter, elle le tira d’un coup sec, et paf, tout le tiroir se déboîta, et c’était presque si ses planches se disloquèrent.
Tout le contenu du tiroir se retrouva parterre, soit une liasse de papiers, une carte, un cadre… et de l’encre !
Toute contente, Ambre s’en empara.
Mais ses yeux chutèrent sur la carte, décorée d’une fine écriture :
Ma très chère Margaret…
Elle saisit doucement la carte.
Ses yeux poursuivirent :
Ma très chère Margaret,
C’est moi.
Arnold.
Je n’ai pas beaucoup de temps, je vais essayer de faire vite.
Margaret.
Je ne sais pas quoi dire… Comment me formuler… Le temps passe, il faut que je me presse…
Bon.
J’imagine que c’est la dernière lettre que je t’adresse, et j’imagine la dernière lettre que j’écris.
En fait, je ne sais pas.
Margaret, je t’aime.
Je t’aime très, très fort, tu n’as pas idée. Tu es comme ma mère biologique pour moi. Je n’ai jamais été très fort avec les mots, malheureusement…
Quand tu liras cette lettre, Margaret, j’aurai déjà disparu.
Au fond du puits.
Oui Margaret, ce puits.
Je veux quitter cette époque qui ne me convient pas. Je sais que cette nuit sera peut-être ma dernière nuit, je sais que je pourrais mourir noyé au fond du puits comme être envoyé dans une autre époque — comme dans la légende que tu me racontais quand j’étais petit.
Ne me rappelle pas que c’est un mauvais choix : c’est le cas.
Mais c’est le meilleur.
Peut-être parviendras-tu à me repêcher à temps, avant que je ne meure dans ce puits. Tu n’auras peut-être pas envie d’aller me repêcher en fait. Un cadavre, ce n’est pas joli à voir.
Ne t’en veux pas, Margaret, de m’avoir fait découvrir cette légende.
Ne t’en veux pas de m’avoir un peu aidé dans mes recherches, alors que tu croyais certainement que ce n’était qu’une activité comme une autre…
Je t’aime Margaret.
Je t’aime très, très fort.
Ce n’est qu’à toi que je veux écrire. J’aurais bien écrit à Alice, mais ma chère cousine est trop jeune… enfin, je ne sais pas.
Le temps passe… Il faut que j’y aille.
J’ai peur, Margaret.
Mais pas assez pour arrêter mon projet.
Ma lettre est beaucoup trop longue, pour pas grand-chose, c’est stupide, j’aurais dû m’en tenir à quelques lignes.
Je t’aime, Margaret.
Je t’aime trop, trop fort.
Arnold.
Arnold…
Ambre leva les yeux, et vit dans le tiroir déboîté un portrait ovale de quelques centimètres de diamètre, représentant un petit homme aux cheveux bruns, aux lèvres sans expression mais aux yeux pétillants.
Et, à ce moment, ses yeux, à Ambre, étaient d’une rougeur incroyable.