… Ingénieux.
René et elle se trouvaient à présent dans la pièce juste à côté de la chambre d’Alice, à savoir le bureau, vide.
René savait, par on ne sait quel moyen, que le salon se trouvait juste en-dessous.
« C’est Alice qui m’a montré, expliqua t-il.
— Ah bon ? Quand ça ? S’étonna Ambre. Je ne m’en souviens pas… »
René fronça légèrement les sourcils, pensif.
« Peut-être que vous… Euh… tu n’étais pas là… »
Ou peut-être qu’Alice ne voulait pas que je sois là…
Ambre chassa cette pensée parasite.
Alors, pour entendre ce qu’il se disait, René plaquait son oreille au parquet, à quatre pattes, et écoutait.
Oui, c’est bien ingénieux.
À ce moment, c’était Mme De Sous-Bois qui animait la discussion d’anecdotes et de plaisanteries qui ne collaient pas à son image, et Mme de la Houssaye répondait tout aussi faussement.
Ils n’entendirent pas la voix d’Alice, parfois celle d’Albertine pour surenchérir les paroles de sa mère, mais aucune trace de M. De la Houssaye fils.
« Peut-être n’est-il pas venu ? » Suggéra René.
Non, parce que Mme de la Houssaye demandait souvent à un certain André de lui passer un biscuit.
Soudain, le silence se fit, dans le salon.
Ambre comprit qu’il était temps de parler de la véritable raison qui avait poussé Mme De Sous-Bois à inviter Mme De la Houssaye dans sa demeure.
« Comment va votre mari ? S’enquit Mme de Sous-Bois, d’une voix faussement intéressée.
— Oh là là, si vous saviez, soupira son invitée. Il est terriblement angoissé, des dizaines de miséreux viennent habiter le fond de notre jardin…
— Oh ! Les scélérats !
— D’habitude, nous les laissons faire, mais ces dernières semaines, piqués par le Diable en personne, ils prennent un malin plaisir à défoncer nos vitres en jetant des dalles du jardin. Ils volent nos chevaux, attaquent nos domestiques…
— Vous devriez les virer. Ils risqueraient de défoncer votre production de fromage… »
Ambre se souvint du parchemin, et se rendit compte que Mme De Sous-Bois utilisait exactement la tactique prévue.
Elle trouva ça insupportable.
Pourvu qu’elle se plante… Elle ne peut pas y arriver de cette manière aussi vicieuse…
Elle avait envie de taper très fort contre le parquet.
Soudain, la voix d’Alice retentit :
« Non. »
Il y eut un petit silence.
« Quoi, non ? Répliqua Mme de Sous-Bois, doucereuse, mais Ambre savait qu’elle aussi avait la soudaine envie de taper très fort le parquet. De quoi parlez-vous, très chère ?
— C’est incroyable que vous laissiez habiter votre jardin par des victimes de la vie. Vous êtes une personne très généreuse, Mme de la Houssaye.
— Oh ! Euh… merci beaucoup.
— Ils sont nombreux ?
— Une petite dizaine, mais certains partent, d’autres viennent pour une journée… Une fois, on en a recueilli plus d’une trentaine !
— Ah oui, en effet ! »
Ambre finit par comprendre qu’Alice éloignait Mme De la Houssaye du sujet tant désiré par Mme de Sous-Bois, à savoir le mariage de son fils.
« Et comment faites-vous, l’hiver ? Poursuivit Alice.
— L’hiver, ils ne viennent pas beaucoup. Mais mon mari et moi les laissons habiter quelques semaines dans les écuries. Ils ont toujours été très polis. Enfin, jusqu’à maintenant.
— Et votre production de fromage ? Toussota Mme de Sous-Bois. C’est votre fils qui va en reprendre les rênes ?
— En effet.
— Vous offrez du fromage aux pauvres ? Interrogea Alice d’une façon tellement polie et amicale que Mme de Sous-Bois devait en vomir son thé.
— Mais absolument ! C’est eux qui nous font de la publicité. »
Alice menait la discussion d’une main de maître, et Ambre s’en sentait imperceptiblement fière.
Soudain, Mme de Sous-Bois en eut assez, et coupa d’un ton acerbe :
« Et votre fils ?
— Mon fils ? S’étonna Mme de la Houssaye. Qu’a t-il, mon fils ?
— Il… Il… je… »
Mme de Sous-Bois rougit sous son épaisse couche de fond de teint blanc, s’étranglant avec ses propres mots.
« Non, rien. »
Alice fit innocemment :
«Oh, allez-y, Mère, je vous écoute.
— Non non… »
Elle fusilla du regard sa fille, avant de tremper ses lèvres serrées dans son thé.
« Pourtant, c’est l’endroit idéal pour parler de M. André de la Houssaye, ce dernier étant présent ! Insista t-elle. Ah ! Mais si, je sais !
— Mais non, Alice… murmura Mme de Sous-Bois.
— Mais si ! Vous vouliez parler du fait que vous aviez pensé à mon futur mariage !
— Oh, vraiment ? Dit Mme de la Houssaye, enjouée. Je suis heureuse pour vous ! Avec qui donc ?
— Votre fils, madame ! »
Ambre et René éclatèrent de rire.
Un grand silence s’abattit dans le salon.
« Mon… mon fils ? » Répéta Mme de la Houssaye, sonnée et outrée.
Elle interrogea du regard Mme de Sous-Bois. Cette dernière, rouge de honte, avait du mal à soutenir son regard.
« Je… hum… pas tout à fait… bafouilla t-elle.
— Vous m’étonnez », finit par dire Mme de la Houssaye.
Soudain, une voix masculine résonna dans la pièce, que nous n’avions jamais entendu durant toute la conversation :
« D’autant plus que je suis déjà fiancé. »
***
Les de la Houssaye venaient de partir, avec un énorme froid entre la mère De la Houssaye et la mère De Sous-Bois.
Ambre et René se dépêchèrent de se cacher dans la chambre d’Alice, entendant les pas furieux de Mme de Sous-Bois monter dans les escaliers, et traverser le couloir.
Elle entra telle une furie dans la chambre, heureusement déserte à ses yeux (Ambre et René étaient cachés sous le lit, comme à leur habitude), et relâcha enfin le poignet de sa fille Alice, qu’elle tenait tellement fort qu’il en était devenu écarlate.
« Alice, fulmina t-elle. Alice, voyez-vous ce que vous venez de faire ?! »
La jeune fille ne répondit pas. Ambre la devina, son regard fixé au sol, les yeux humides.
« Vous voulez réellement terminer seule, bonne à rien, comme les miséreux que Mme de la Houssaye recueille dans son jardin ?
— Son fils est déjà fiancé, murmura Alice, d’une voix chevrotante. Dans tout les cas, cette invitation n’aboutissait à rien sur mon futur.
— Nous aurions pu en discuter, répliqua sa mère avec colère. Peut-être aurais-je fini par faire changer Mme de la Houssaye d’avis, avec mes talents d’oratrices, pas comme les tiens. »
Mme de Sous-Bois gémit.
« Et à présent, vous venez de détruire ma réputation !
— Il n’y avait que Mme de la Houssaye, répondit la jeune fille, timide. Elle ne va pas tout répéter…
— Mais bien sûr ! Mais dans quel monde vivez-vous, enfin ! Dans un royaume de conte de fées ? Dès la prochaine fête à laquelle Mme de la Houssaye sera conviée, elle racontera à tout le monde ce qui s’est passé cet après-midi, dans la demeure des De Sous-Bois. Et des fêtes, il n’y a que ça à faire, tout un village sera au courant avant la fin de la semaine ! »
On toqua à la porte, et Ambre vit la carrure singulière de Margaret rentrer dans la chambre.
« Madame, dit-elle, votre bain est prêt…
— Merci, répondit-elle sans la moindre gratitude. J’arrive. »
Elle envoya un dernier regard furibond à sa fille, et prononça :
« Il y a des fois où je n’aurais voulu avoir qu’Albertine. »
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