C’était incroyable.
Comment Ambre ne s’était-elle pas rendue compte de l’écart qui se creusait entre sa position et celle du manoir de sa grand-mère ?
Ce dernier était bien loin, dissimulé derrières les arbres touffus, les buissons, les herbes…
Et puis, Ambre n’avait pas toujours marché en ligne droite…
Elle qui croyait qu’il lui suffisait de se retourner pour apercevoir les hauts murs défraichis de la maison, ses fenêtres sombres et sales, son toit aux tuiles manquantes, cette lanterne…
Son cœur s’emballa. Paniquée, elle fit demi-tour, et avança de quelques pas.
Il y a forcément quelque chose dont je me souviens… un arbre à la forme bizarre, un buisson aux fleurs particulières…
Mais là où marchait Ambre se déroulait un paysage dont elle n’en avait strictement aucun souvenir.
Était-elle passée par-là ? Oui ? Non ?
Elle contourna un chêne certainement centenaire, cinq fois plus gros qu’elle au moins, et lorsqu’elle vit qu’il ne cachait qu’une autre partie de la forêt, ses mains se mirent à trembler.
« C’est pas possible, se répétait-elle à voix haute, comme pour s’en persuader. Un jardin a bien une fin… un muret… Il n’était pas si grand que cela, le jardin de mamie, quand j’étais petite… »
Elle dévisagea les alentours, et cette réflexion s’envola immédiatement.
Ce jardin n’avait aucune limite.
Sa bouche fondit sous la peur, et, apeurée, elle sentit le coin de ses yeux se mouiller.
Sa voix devint incontrôlable, et elle hurla à plein poumons :
« MME PETIT ! MME FÈVE !! JE SUIS LÀ, DANS LE JARDIN ! »
Personne ne lui répondit.
Pire encore : la forêt entière lui répondit à leur place.
Les branches craquèrent, les écorces semblaient s’ébrouer, les feuilles s’agiter, les cailloux rouler.
« MME PETIT !MME FÈVE !! »
Sa voix déraillait du grave à l’aigu sans qu’elle ne puisse rien faire.
Soudain, le cri sortit de lui-même :
« MAMIE !!! »
Il rebondit dans tout les coins de la forêt, résonna dans les entrailles de la terre, et même le ciel sombre semblait vibrer sous l’appel.
Ambre s’effondra en sanglots, contre cet énorme chêne. Ses épaules étaient parcourues de soubresauts, et ses jambes de tremblements. Les larmes déchiraient ses joues.
Je vais mourir ici… Je ne veux pas mourir… Pas maintenant !
Le pire, c’est qu’elle n’avait même pas son téléphone avec elle… elle l’avait laissé sur sa valise, dans la cour…
Ambre releva la tête de ses bras croisés, reprenant son souffle.
Elle voyait une délicate buée s’élever de ses narines, même si elle avait affreusement chaud.
… Crac.
Alarmée, Ambre détourna prestement la tête, et se releva, sans même prendre le temps de s’essuyer les yeux.
Dans l’ombre, une âme respirait bruyamment.
Elle aussi semblait agitée. Elle semblait se débattre dans les hautes fougères, sanglotante.
Ambre fit quelques pas, s’approchant prudemment de l’endroit où les herbes semblaient remuer.
D’une main, elle écarta une large feuille de fougère, et se figea, stupéfaite.
C’était une jeune fille, qui lui semblait très jeune. Moins d’une vingtaine d’années, elle en était persuadée, même si l’obscurité avait englouti une bonne moitié des traits de son visage.
À moitié étalée au sol, dans la terre, l’inconnue dévisagea Ambre, les yeux rougis également.
« Qui êtes-vous ? » Demanda t-elle froidement, d’une voix cependant légèrement chevrotante.
Ambre ne put s’empêcher de contempler longuement la robe dont était habillée la jeune inconnue : une robe comme on n’en faisait plus, sertie de rubans et de jupons.
Soudain, les rayons de la Lune se firent plus clairs, plus lumineux, et, durant un infime instant, tout le visage de la jeune fille lui fut visible : ses yeux gris, son haut front, ses cheveux ondulés, ses joues, brillantes de larmes.
« Pourquoi tu pleures ? » Souffla Ambre, s’agenouillant près d’elle.
L’inconnue ne lui laissa même pas le temps de s’asseoir qu’elle bondit sur ses pieds, passant un rapide revers de main sur ses pommettes.
Elle n’était pas bien grande…
« Qui êtes-vous ? Répéta t-elle, déraillante de sanglots. Que faites-vous chez moi, dans ma propriété ? »
Ambre fronça les sourcils.
« Quoi ?… » murmura t-elle.
J’ai du passer chez les voisins sans m’en rendre compte. Je suis certainement dans leur jardin.
Ça ne pouvait qu’être ça.
À présent, c’était à son tour de détailler Ambre ; elle écarquilla les yeux devant son pantalon tâché de terre, ainsi que sur son chignon fait à la va-vite, qui reposait à présent sur la nuque de sa propriétaire.
« Partez. »
Malgré la faiblesse de sa voix, elle n’en restait pas moins froide et autoritaire. Durant quelques instants, Ambre allait lui obéir, puis se souvint qui était la plus grande des deux.
« Pourquoi pleures-tu ? Répéta t-elle.
— Comment osez-vous me tutoyer ? Répliqua l’inconnue, la rage décortiquant ses paroles. Et comment osez-vous vous introduire chez moi ?! Me déranger ?!
— Et toi, comment oses-tu me parler sur ce ton ?! »
Les poings d’Ambre se serrèrent contre sa cuisse, et durant quelques instants, elle eut peur qu’ils ne s’échappent, et s’écrasent sur la figure de son interlocutrice.
L’inconnue la fusilla une dernière fois du regard.
Puis fit demi-tour, et s’enfonça à travers les herbes folles.
Ambre n’en revint pas.
Mais où pouvait-elle bien aller ?
« Eh ! Attends ! S’exclama t-elle, lui agrippant l’épaule.
— Lâchez-moi.
— Qui es-tu ? Que fais-tu à une heure si tardive ?
— Lâchez-moi.
— Tu ne comprends pas, c’est dangereux de rester ici… surtout la nuit !
— Justement. »
Ambre fronça les sourcils, et s’arrêta.
« Que… quoi ? Balbutia t-elle.
La jeune fille ne lui répondit rien, et la planta là, continuant sa route.
Si Ambre ne faisait rien, d’ici quelques instants, elle disparaîtrait entre deux arbres, et elle serait de nouveau seule.
« Attends ! S’il te plaît, où est la maison d’Alice Nerri ? Ça doit certainement être ta voisine… Je crois que j’ai franchi par pure inadvertance le muret qu’il y avait entre vos deux jardins, et je me suis perdue dans…
— Alice Nerri ? »
Elle avait enfin réussi à capter son attention.
L’inconnue se détourna vers Ambre, et ses prunelles claires scintillèrent dans le noir comme l’auraient fait deux saphirs.
Ambre hocha la tête, en pleine contemplation de ses yeux.
« Oui. Alice Nerri. »
La jeune fille fronça à son tour légèrement les sourcils, une fraction de seconde.
« Je connais bien une Alice, finit-elle par dire, mais elle ne possède pas ce nom-là.
— Qui est-ce, alors ?
— C’est moi », répondit-elle simplement.
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