L’inconnu a la tête tournée vers eux, ses yeux marrons scrutent attentivement le visage de Simon et Mumu. Il voit très bien qu’il est plus âgé qu’eux deux, il s’y attendait, mais quelque chose le surprend bien. En réalité il ne s’attendait à croiser qu’un des deux adolescents. Ce qui l’intrigue aussi ce sont les bandages de ces adolescents disposés à l’inverse de l’autre.
Il se permet quelques secondes pour pouvoir se concentrer à nouveau avant de leur sourire.
« Oh tient, des enfants ici. Mais que faites-vous là ? »
Ils ne répondent pas. Simon grogne en dévisageant l’inconnu, il n’apprécie pas particulièrement le ton qu’il a employé. Enfant ? Ils ne sont pas si petits que ça !
Quant à Mumu, elle le regarde curieusement en lui souriant presque, ses yeux décrivent l’adulte qui leur fait face : son visage paraît jeune, mais elle a l’impression que les habits le vieillissent.
L’inconnu alterne plusieurs fois son regard entre les deux adolescents et l’arme. Il continue d’arborer son sourire pour montrer qu’il ne leur veut aucun mal, la tâche est compliquée par l’arme que Simon n’a sans doute pas envie de baisser de sitôt. Il n’a pas intérêt à faire de pas en travers.
« Sortons, propose-t-il, il serait bête que la police vienne et nous trouve dans ce lieu. Enfin, s’ils n’ont pas mieux à faire ! »
Sur ces mots il sort, non sans stress.
Mumu et Simon se regardent, puis reprennent leur descente. L’adolescent trouve l’adulte bizarre, au contraire de sa protégée qui semble déjà l’apprécier.
L’inconnu les attend dehors, derrière les banderoles jaunes de la police. Quand les jeunes sortent de la grande demeure, traversant à leur tour cette barrière jaune, il s’écarte un peu regarde la hache que tient Simon.
L’adulte se montre très vigilant et demande d’un ton assez particulier.
« Que comptes tu faire avec cette hache ? »
Simon observe le jeune adulte, le regard sévère. Il roule de l’œil en soupirant lourdement. Compte-t-il le questionner longuement ?
« La garder pour se défendre. On ne l’a pas récupérée pour rien. Je te retourne une question, mais tu faisais quoi ici ? On aurait dit quelqu’un de la police…
-La récupérer, n’est-ce pas ? Donc vous habitiez ici je suppose. J’étais venu pour voir ce qui s’est passé car j’ai entendu des bruits, comme des coups de feu, hier. Il s’est passé quoi ? »
Ces dernières paroles ne sont pas vraiment naturelles. On pouvait ressentir dans sa voix une certaine retenue, un changement soudain de ton. C’est comme s’il était déjà au courant de ce qui s’est passé, mais qu’il le cache. Les adolescents remarquent la différence de ton, mais ils ne peuvent pas être certains sur la raison de ce changement.
Simon regarde Mumu, cette dernière le regarde, puis les deux se tournent vers l’inconnu qui n’a pas arrêté de les regarder. L’atmosphère devient un peu plus étrange ou malaisant, c’est un peu compliqué à savoir.
« Si vous ne voulez pas le dire ce n’est pas grave, dit ce dernier d’une voix plutôt calme, mais je peux toujours vous proposer de venir avec moi…
-Pourquoi, demande sèchement Simon, comment ça ? On ne vous connait pas !
-Certes, mais il y’a d’autres personnes, avec qui je vis, qui sont aussi dans la même situation que vous. Autant que l’on se serre tous les coudes ! À deux il est dangereux de rester seul dans la rue, surtout à votre âge. »
Il marque un point. Mumu tire la manche de Simon en lui souriant, montrant qu’elle a envie de le suivre, mais il ne lui fait pas confiance malgré tous, et il a ses raisons. Elle voit bien qu’il n’a pas envie, son regard dit tout. Elle va se mettre à côté de l’inconnu
« Allez viens Simon, encourage Mumu en souriant, ça va être mieux !
-Il y’a aussi un garçon du même âge que vous, ajoute l’inconnu en riant nerveusement, bon il n’est pas très jeu mais ce n’est qu’un détail. Il y’en a un autre, plus jeune, qui ne refuse aucun…
-Ce n’est pas ça qui me fera changer d’avis, coupe le jeune homme en se tournant vers sa camarade, Mumu on ne sait pas s’il est sincère. Il peut très bien mentir !
-Autant le suivre pour voir, non ?
-C’est beaucoup trop dangereux ! Il ne faut jamais suivre les inconnus même s’ils nous paraissent sympa ! La vie n’est pas aussi sûre qu’elle ne laisse paraitre. »
Le jeune adulte n’intervient pas, ne voulant pas, dans le pire des cas, envenimer la situation. Il se contente de les regarder un à un. Son instinct lui dit de le calmer, d’essayer de le rassurer, mais il se sent bloqué. Il pense que s’il essaie de les convaincre cela ne risque pas de plaire à Simon. Il est méfiant et il a bien raison de l’être
« Eh bien moi je le suis, dit-elle en souriant à l’homme, parce que je le sens bien lui !
-Ce n’est pas parce que tu le sens bien, argumente le jeune adolescent, qu’il a forcément de bonnes attentions ! Mumu c’est comme ça que commence la plupart des problèmes !
- Laisse-moi avoir de bon ressenti, je te dis que je le sens bien ! Quelque chose au fond de moi me l’a dit, je ne sais pas comment mais j’ai entendu une voix. Je reste avec lui que ça te plaise ou non !
-Très bien, très bien, j’ai compris, va donc le suivre ! Je m’en vais si tu n’as pas besoin de mes conseils ! »
Il part sur le coup de tête, énervé.
Mumu est triste, elle pensait qu’il allait venir et ne pas la laisser pour si peu. Elle hésite à le rejoindre mais c’est trop tard, il a dû tourner dans une rue.
L’inconnu lui tapote l’épaule en la regardant avec tendresse et compassion. Il peut comprendre à quel point ce genre de situation peut être difficile à supporter.
« Hey, chuchote-t-il, ne t’en fais pas. Il finira par changer d’avis.
-J’espère, il me manque déjà. »
L’adulte tapote l’épaule de l’adolescente et lui indique la direction qu’ils vont emprunter. Sur le chemin, ils font plus ou moins connaissance. L’homme s’appelle Kévin. Cependant Mumu ne sait pas trop quoi lui dire, alors Kévin essaie de parler de tout et de rien.
Le paysage de la ville change légèrement pour une zone plus industrialisée. Ils arrivent devant un grand bâtiment gris, avec pleins de tuyaux à l’extérieur rejoignant l’intérieur. Kévin guide Mumu à l’intérieur, et lui tient la main au cas où cette dernière vient à trébucher à cause du sol piégé de tuyau.
L’adulte regarde l’heure et indique à Mumu les canapés l’invitant à s’asseoir. Il part l’espace d’un instant, puis revient avec deux verres d’eau. Il donne l’un à Mumu, l’autre est pour lui.
« Donc Mumu… »
Il semble perdu dans ses pensées, comme s’il lui manquait une information qui lui a échappé. Honteux de se l’avouer lui-même, c’est bien le cas. Il ne parvient plus à retrouver l’information reçue. Il tente une combine, après tout elle n’a pas l’air de trop réfléchir. C’est méchant dit comme cela, mais c’est une vérité. Il commence déjà par établir un contact avec elle, puis une fois qu’il la sent à l’aise il dévie la conversation
« J’ai supposé que tu habitais la maison dans laquelle tu étais avec ton ami. Il pourrait très bien être ton grand frère aussi. Que s’est-il passé ?
-Ce n’est pas mon grand frère lui. Et je ne sais pas ce qu’il s’est passé.
-Tu est sûr que ce n’était pas ton frère ? Vous vous ressemblez presque comme si vous étiez jumeaux, que vous avez le même âge.
-Non. Moi j’ai quinze ans. Lui je ne sais pas quel âge il a. »
Les réponses de Mumu inquiètent Kévin. Et si finalement c’était Simon le personnage dangereux dont il essayait de lui faire porter le rôle ? Après tout il était aussi armé d’une hache, il aurait très bien pu se débarrasser de Mumu. Mais avait-il déjà senti sa présence dans la maison ?
Il n’en sait trop rien. Ce garçon pourrait très bien aussi être quelqu’un de vraiment prudent. Cependant si c’était le cas, pourquoi avoir lâché Mumu ? Il expirait clairement la colère, mais est-ce une raison suffisante ?
Il stoppe ses pensées. Trop de questions lui arrivent en même temps. Il continue
« Donc tu dois être en troisième ou en seconde. C’est important que je sache en quelle classe tu étais…
-En quoi ? »
Cette discussion devient de plus en plus étrange au goût de Kévin. Il fronce les sourcils, il ne s’attendait pas à cette situation.
« Tu es au collège ou au lycée ?
-Je ne sais pas, répond Mumu, en fait non.
-Attend, s’indigne Kévin, tu ne vas pas en cours ?!
-Non, dit Mumu tout naturellement, je suis toujours restée à la maison, dans ma chambre mais… »
Elle s’arrête en voyant l’expression de son interlocuteur. Il n’est clairement pas content, mais alors pas du tout.
Il se lève brusquement, en se tournant, passant sa main dans ses cheveux.
« C’est quoi ce bordel Murielle, murmure-t-il »
Ce nom est familier pour Mumu. Elle regarde Kévin avec un regard interrogé.
Comprenant ce qu’il a dit, l’homme se tourne pour faire face à Mumu et à son expression.
« Comment tu sais que…
-Très longue histoire, mais oui je suis familier à ta famille. Enfin c’est ce que je croyais avant-hier. »
Il s’assoit, soupirant. Il se masse le visage, fatigué. Il n’a pas dormi de toute la nuit, il a dû aller à un endroit assez spécial. Se ressaisissant, il joint ses mains et pose son visage contre. Laissant le silence passer, il déclare
« Mumu, ce n’est pas normal. Tout le monde doit aller à l’école, ou au moins accéder à l’éducation à la maison. Tu es dans un pays où tout enfant dans une bonne situation à la chance de pouvoir accéder à l’éducation et tu n’as pas ce droit ? C’est inadmissible !
-Je n’ai plus de parents maintenant, je crois. Mais mon père m’avait dit que je n’avais pas besoin d’aller à l’école, vu que mon frère et ma sœur y allaient… »
Il relève bien une chose de sa phrase. Elle ne sait donc pas que sa mère est toujours en vie ? Doute-t-elle de ce fait ? Mais la fin de sa phrase est ce que Kévin retient le plus. Il ne plaisante pas avec l’éducation et c’est justement l’une des raisons pour laquelle il lui a demandé sa classe.
« Tout le monde a besoin d’accéder à l’éducation Mumu, tout le monde doit étudier pour réussir à se débrouiller dans la société. Beaucoup d’enfants n’ont pas cette chance, car leurs parents ne peuvent pas payer ce qu’il faut, où bien même qu’ils n’ont pas d’école près de chez eux, et d’autres raisons existent encore. Certains enfants démunis, vivants même dans des bidonvilles ne peuvent facilement accéder à l’éducation, mais grâce aux actions bénévoles, don, que font énormément de personnes, certains de ces enfants peuvent étudier. Malheureusement il reste toujours des enfants qui ne peuvent aller à l’école. Le problème Mumu c’est que tu vivais dans une belle maison, montrant la richesse de ta famille, tu n’avais absolument aucune contrainte pour pouvoir étudier ton frère et ta sœur y allaient ! Pourquoi pas toi ? Tu n’as pas été envoyé à l’école, alors que ça fait partit de tes droits, et ça c’est intolérable ! »
Elle ne lui répond rien, comprenant la gravité. Elle s’en veut même, elle n’a pas cherché à comprendre s’il était bénéfique de faire confiance à son père ou pas. Si elle savait que ce n’était pas le cas, peut-être aurait-elle pu s’imposer ? Faire face à son père ? Cependant, elle sait qu’elle n’aurait eu de chance face à lui. Il avait toujours le dernier mot sur tout.
Kévin voit bien que cela la tourmente, il rajoute
« Le plus important maintenant ce sont les actions futures, il ne sert à rien de ressasser le passé, n’étant là que pour éviter de commettre une nouvelle fois les mêmes erreurs. »
Mumu le regarde, il lui sourit. Cela la rassure en quelque sorte.
« Je pourrais t’apprendre les bases si tu veux, lui dit-il, je n’ai pas le niveau d’un professeur mais j’ai été assez bons dans toutes les matières.
-Ooooh j’ai hâte alors ! Simon m’a aussi appris certaines choses quand c’était mon ami imaginaire »
Kévin ne cerne pas complètement les paroles de Mumu, mais fait signe de comprendre. Il comprend que le garçon qui était avec elle s’appelle Simon, enfin s’il ne se trompe pas ! Il doute que le deuxième adolescent soit un ami imaginaire étant donné qu’il le voit.
Il regarde à nouveau l’heure, inscrite sur la montre qu’il porte à son poignet.
« Les autres ne doivent pas tarder à venir »
Il est vrai qu’il a parlé de deux autres personnes. Une qui devrait avoir à peu près le même âge que Mumu, et une autre plus jeune.
Un petit garçon arrive, mains dans les poches et les pas lourd. Ses sourcils sont froncés, il semble être énervé. Quand il voit Mumu, il s’arrête l’air surpris et regarde Kévin avec une expression d’incompréhension. Il sort ses mains des poches et montre Mumu avec l’une d’elle.
« J’ai ramené une invitée !
-Merci je vois ça !
-Eh bien présente toi alors. »
Un autre garçon, plus âgé en revanche, arrive derrière l’enfant. Son regard se pose sur l’adolescente puis lui sourit chaleureusement.
Mumu remarque le nouvel inconnu et lui rend son sourire. Elle l’apprécie déjà lui, il lui a tapé dans l’œil avec son accoutrement, ses cheveux et ses yeux hypnotisant.
« Je m’appelle… »
Le petit garçon remarque que le regard de Mumu se porte ailleurs, il se tourne et fait face à son camarade. Ce dernier lui a fait peur en arrivant sans aucun bruit. Il lui en veut presque car d’habitude l’on l’entend arriver de loin. Pas trop loin non plus, il ne faut pas pousser le bouchon trop loin.
« Molty ! »
Kévin commence à rigoler sous le regard dubitatif de Mumu. Il n’y a pourtant rien de drôle pour elle. Kévin se reprend, mais il a bien du mal à arrêter de rire. Jimmy grogne contre Molty, il ne digère pas du tout le coup qu’il lui a fait. Roulant des yeux, le garçon le plus grand devance le plus petit se montrant avec sa main.
« Mille excuses, mais il y’a méprise. Molty est mon nom et non celui du garçonnet qui se nomme Jimmy.
-Garçonnet ? Mais d’où garçonnet ? Mais je vais t’en donner du garçonnet ! T’as cru qu’à mon âge on m’appelle encore garçonnet ?! Laisse-moi te rafraichir ta mémoire, j’ai huit ans !
-Il est vrai que tu es d’un âge trop avancé pour ce terme.
-Ahah ! Tu admets un tort !
-Cependant pour moi tu resteras toujours un garçonnet. »
Jimmy est envahi par once de colère. Il se contente de soupirer bruyamment en faisant des gestes au hasard. Il s’éloigne un peu mais reste dans la pièce.
Molty s’avance vers Mumu attrapant son haut-de-forme en le soulevant, la saluant.
« Je ne me suis présenté correctement, veuillez m’excuser… »
Mumu est complètement hypnotisée par Molty. Il y’a quelque chose en cette individu qui la rend totalement rêveuse, mais elle ne trouve pas ce qui la rend comme cela et ce n’est pas sa priorité.
Les paroles du bel individu se perdent dans l’esprit de la jeune fille, elle ne fait plus du tout attention à ce qu’il dit jusqu’à ce que dernier pose sa main sur épaule, la réveillant de son état second
« Est-ce que tout va bien ?
-Oui… Oui, oui. »
Elle regarde l’adulte ainsi que le doux sourire qu’il exprime. Bien que ce n’était pas son intention, cela lui a rappelé qu’elle ne s’est pas présentée.
« Je m’appelle Mumu !
-Quel nom peu commun, mais qui va parfaitement à la charmante jeune demoiselle que vous êtes. »
Elle ne peut pas s’empêcher de baisser la tête, rougissant face au compliment qu’il lui a fait. Ses longs cheveux cachent en partie son visage rouge tomate, ou plutôt fraise à chacun son interprétation.
« Tu l’as mis mal à l’aise maintenant, râle Jimmy, elle va croire qu’on est des malades !
-Mais non, rit Kévin, c’est juste que ce n’est pas commun ce type de compliment et ça doit surement la gêner.
-C’est très malheureux que ce type de manière ne soit plus commun, rajoute Molty puis regarde Mumu, mais ne t’inquiète pas je ne suis pas si coincé que cela. »
Elle pouffe de rire, alors que le galent jeune homme lui sourit tendrement. Une voix légèrement en colère, grave et rocailleuse, s’élève dans la salle.
« Où est le deuxième ?! »
Tout le monde se tourne vers une nouvelle personne. Son apparence fait trembler Mumu, il n’a pas l’aire très bienveillant au premier coup d’œil. Elle essaie de trouver du réconfort, mais tous les autres sont concentrés sur le nouveau personnage.
« Où se trouve le garçon ?! Demande-t-il à nouveau
-Tu sais donc qu’elle était accompagnée Hearesed ? demande Kévin en sachant pertinemment la réponse. Il ne nous a pas suivis. Pourquoi cette question ?
-C’est grave Kévin, crie Hearesed, il faut retrouver ce garçon ! »
Molty tente d’intervenir, mais Hearesed ne compte pas se taire aussi facilement.
« Aller le chercher ! Il court un grave danger seul ! Hop bougez votre cul ! »
Il les chasse presque tous, sauf Mumu. Il s’assoit à côté d’elle et lui précise qu’elle n’a pas à les suivre car le risque qu’elle se mette en danger est élevé.
« Pourquoi, il n’y avait personne avant dans les rues.
-Mais eux, ce ne sont pas des personnes comme tu le penses. Ils n’ont qu’une chose en tête, c’est d’obéir aveuglement à leur Maitre… »
Mumu le regarde complètement perdue, ne comprenant pas où il veut en venir.
Du côté de Simon, ce dernier s’est confortablement installé contre un mur, dans une petite ruelle, la hache à côté de lui. Il ne se doute absolument pas qu’il est surveillé par une entité sur les toits, prête à bondir sur lui d’une seconde à l’autre.
Ses yeux ne le quittent absolument pas…